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​Cinq semaines en verre ballon

​Cinq semaines en verre ballon
Ces semaines de confinement auront achevé de glamouriser les buveurs, et notamment, la femme qui boit. Cette belle esseulée, ou cette moche décomplexée, qui fait contre mauvaise fortune bon cœur en débouchant une (bonne ou pas) bouteille, parce qu’il semble qu’on n’ait rien de mieux à faire, parce que c’est la guerre, il l’a dit, Macron, et donc on peut bien sortir le tire-bouchon pour «l’apéro Zoom», cette nouvelle mode, et pavoiser comme en 1940, «encore une qu’ils n’auront pas». Comme elle a été insidieuse, cette mise à distance de la charge mentale par l’alcool chez la femme dans les memes qui ont tourné sur les réseaux sociaux pendant le confinement! Si on le regarde rétrospectivement, ça pose bien tout le problème, «problem» en anglais des États-Unis pouvant d’ailleurs par raccourci signifier à lui tout seul «problème avec l’alcool».

Qu’en est-il à la Réunion ? Il suffit de faire défiler les posts de confinement de certaines de nos amies et autres collègues, en mode: « on dit qu’il faut remplacer le verre d’alcool par un pot de yaourt », moue dubitative, l’image d’après, elle se verse du vin dans un pot de yaourt vide au lieu du verre ballon habituel, etc… On repense à ce « muguet » du 1er mai, celui en éventail de mojitos dans les mêmes tons vert et blanc que la fleur du jour, fleur du bonheur et de la chance. On part pour un « apéro Zoom », parfois même on remet ça au cours de la même soirée, sous prétexte de conserver le lien social, d’assouvir le besoin festif, de contrecarrer la morosité confinée. D’où le titre d’un article du New York Times, à la section féministe In Her Words, «(Not So) Happy Hour» de Corinne Purtill (30/04/2020), avec son jeu de mots doux-amer sur «happy hour», l’heure de l’apéro, celle où un autre soi se désinhibe. On a pu voir aussi, sur les réseaux toujours, la parodie de ABBA «Quarantina» sur l’air de «Mamma Mia», des femmes quadra’ décomplexées qui
s’alcoolisent en petite quantité mais en continu dans leur chez-elles d’Américaines, et rester songeur ou songeuse devant la réponse de Nora Hamzawi dans Quotidien (16/04/2020), l’émission d’infotainment de TMC prisée des jeunes: à une question d’enfant du type, «c’est normal que pendant le confinement mes parents prennent tout le temps l’apéro ?», l’humoriste répond sur le mode drolatique que, ben oui, c’est même bon signe qu’ils appellent encore ça l’apéro, parce que c’est normal, à force de confinement, “semaine 5, il est 16H, t’es en train de repasser un verre à la main”. Petits rires convenus sur le plateau; l’alcool, ce sujet de plaisanterie mondain. On préfère encore leur interview de Zahia imitant désespérément la voix de Bardot et retroussant sa robe  blanche d’un air mutin dans un appartement londonien pour nous vanter les jus de fruits dont elle raffole, en ânonnant d’une voix traînante faussement BB, j’aaaadooooore les juuuuus de fruits, tous les juuuuus. Pas si bête finalement.

Je ne sais pas quels lobbies il peut y avoir derrière (l’alcool, pas les jus), mais l’idée qu’on nous « vende » une banalisation du lever de coude, qu’on nous fasse avaler cette couleuvre millésimée sous prétexte que notre charge mentale le vaut bien, qu’il n’y a pas de mal à se faire du bien, et que de toute façon, «y avait pas vraiment mieux à f… » en ces temps de coronavirus, eh bien je trouve ça grave. Alors bien sûr, je prends pas mes copines pour des alcooliques, mais seul.e chacun.e dans le secret de son for intérieur est à même de se poser la question: Suis-je en train d’avoir besoin de ce breuvage, d’avoir besoin de cette désinhibition-là, pour accepter le contexte, m’accepter moi, avoir envie de faire l’amour, ou lâcher prise? pour avoir l’illusion d’une normalité façon «vie d’avant»? Et là, l’article du New York Times est très clair: à partir de huit boissons alcoolisées par semaine, on a un lourd problème d’alcool.

Pour finir, je dirais qu’on ne parle que trop peu de santé mentale dans notre pays, de santé psychique. Déjà que pour la santé physique, on a l’impression qu’il n’y a plus que le Covid19, eh bien on oublie qu’on a aussi une santé de la tête et des émotions, des non-dits, des secrets, des souvenirs, des traumatismes, du manque d’estime de soi et du tropplein de tout ce qui nous pèse. Arrêtons de croire qu’on n’a pas besoin d’un psy parce qu’on n’a pas de problème psychologique. On a tous besoin de consulter, régulièrement, un professionnel de santé mentale, c’est ce que rappelait Julia Kristeva, intellectuelle et psychanalyste, dans l’émission C’ Politique du 19/04/2020. L’alcool ne libère pas la tête, si on en a «besoin» et pas juste envie de temps en temps. On pourrait se défouler sur une consultation avec un professionnel de santé mentale, pour la première fois de notre vie peut-être (et alors?). Et si on se livrait plutôt que de chercher l’ivresse? Si on travaillait à une vie intérieure moins grise, au lieu de s’abandonner à une griserie passagère?

Derrière la cigarette des acteurs et actrices d’Hollywood il y avait de puissants lobbies; ce sont des puissances du même genre qui referment les mains fines des Instagrameuses sur un verre ballon. Être une femme libre c’est être libre de refermer ses doigts sur quelque chose que la publicité et les groupes de pression n’aient pas imaginé pour nous, dans notre main, notre vie, sur notre langue et à la place de nos baisers. Espérons qu’avec la fin du confinement disparaîtra l’apéro Zoom, ce baiser de judas.


www.zinfos974.com

Source : https://www.zinfos974.com/​Cinq-semaines-en-verre-ballon_a154889.html

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