100 gourdes pour un dollar : traduction et augure pour l’économie…

100 gourdes pour un dollar américain est un cap, une expression, résultat de la nature de l’économie, des faiblesses de la gouvernance, des crises multiples et d’un choix du désordre fiscal que l’on colmate à coups de financement monétaire. Un pas est franchi, des augures sombres sont faites par des économistes qui tranchent sur certains aspects avec la ”zénitude” du gouverneur de la BRH qui repète comme un mantra : ”Pas de panique”. 

 

 

Il faut désormais 100 gourdes pour un dollar américain. La barre psychologique est franchie et les perspectives pas des plus rassurantes. L’économiste Kesner Pharel, interrogé par le journal, a constaté que le dollar a effectivement atteint cette barre psychologique. Pour lui, il n’y a pas de surprise. Il replace le curseur, revient sur des marqueurs qu’il faut prendre en compte. «Depuis la décision adoptée par l’administration Lafontant de “dédollariser” l’économie haïtienne, le marché local des changes avait été sous pression puisque l’équilibre de ce marché n’était plus soutenable», a d’abord observé Kesner Pharel.

Des mesures incitatives pour favoriser les exportations, développer le secteur touristique, attirer les investissements directs étrangers n’ont pas été prises par cette administration. «Parallèlement, un déficit budgétaire record, proche de 25 milliards de gourdes, sur un exercice fiscal allait être enregistré», a rappelé l’économiste Kesner Pharel, le premier à faire école, université libre à la radio depuis plusieurs decennies pour permettre au public des non initiés de saisir les nuances, de comprendre les conséquences des inconséquences en gestion des finances publiques.

«La faiblesse de l’offre de devises depuis face à la nette alimentation du marché en gourdes a donné lieu à la dépréciation continue de la monnaie locale face à la devise américaine. La banque centrale a utilisé tous ses instruments pour retarder le dollar à 100 gourdes mais les forces du marché ont eu raison des autorités monétaires», a constaté sèchement le PDG du Group Croissance, Kesner Pharel.

Avec cette barre psychologique franchie en ces temps de recession économique en Haïti et de crise économique mondiale provoquée par le Covid-19, la question à un million de dollars devient celle-ci :

«What’s next? Le marché local des changes se retrouve actuellement sous forte pression en raison de la puissante crise sanitaire mondiale qui donnera lieu à la deuxième grande récession de l’économie mondiale au cours de ce millénaire. La perte substantielle d’emplois aux États-Unis – 10 millions en moins d’un mois – causera une nette contraction des transferts de devises de la diaspora. Ces derniers représentent depuis quelque temps déjà la principale source de devises de l’économie haïtienne», a détaillé Kesner Pharel.

«En outre, la récession au sein de l’économie américaine provoquera une diminution de la demande pour les produits assemblés en Haïti, ce qui aura un impact sur les exportations vers le grand voisin économique», a-t-il poursuivi avant d’évoquer les promesses pour demain.

«Les promesses faites par des partenaires techniques et financiers à la nouvelle administration Jouthe pour venir en aide au pays après l’enregistrement des premiers cas de coronavirus pourraient renforcer la position des réserves nettes de changes du pays mais l’important déficit budgétaire enregistré au cours du premier semestre de l’exercice en cours – plus de 20 milliards de gourdes en cinq mois – alimentera la pression sur la monnaie haïtienne au niveau du marché local des changes», prévient Kesner Pharel. «Une trop forte dépréciation de la gourde par rapport au billet vert pourrait créer de fortes pressions inflationnistes dans l’économie nationale et affecter le faible pouvoir d’achat de la population en situation de pauvreté et d’extrême pauvreté», redoute-t-il.

100 gourdes pour un dollar ”un thermomètre”…

Pour l’économiste Etzer Émile, auteur de l’ouvrage ”Haiti a choisi de devenir un pays pauvre : les vingt raisons qui le prouvent”, le niveau historique 100 gourdes pour 1 dollar «n’est autre qu’un thermomètre qui nous dit clairement que le malade va mal, que les déséquilibres budgétaires sont toujours là, que le financement monétaire reste élevé, que la demande de dollar dans l’économie dépasse le niveau disponible de devises».

«Ce chiffre de 100 gourdes, soutient Etzer Émile, tout en métaphore, n’est pas tombé du ciel. Cest un construit de plusieurs décennies de rendez-vous manqués, de politiques économiques inappropriées, d’instabilités politiques répétées et de renforcement de la dépendance économique du pays», a-t-il souligné.

Pour ce qui est des perspectives, Etzer Émile soutien que l’on peut toujours s’attendre prochainement à un ralentissement du rythme de dépréciation à cause de l’arrêt des activités économiques dû au coronavirus. «Toutefois, s’est-il empressé de souligner, il est clair que ce dollar cher, qui coïncide avec la rareté des produits et la perte de revenus de nombreuses familles (baisse des transferts de la diaspora et perte d’emploi) nous enfoncera un peu plus dans la vulnerabilité».

«Il nous faudra encore du temps, des ressources, de la bonne volonté, de la stratégie et surtout de la tranquillité pour restaurer une économie effondrée et créatrice de misère», a indiqué Etzer Émile.

Urgence de repenser l’économie

L’économiste Emmanuela Douyon, engagée dans Nou Pap Dòmi, une structure de veille, un groupe de pression contre la corruption et l’impunité, a estimé que «la barre des 100 gourdes pour 1 dollar est la limite qu’on ne devait pas franchir encore moins en temps de crise sanitaire et d’une potentielle crise économique mondiale».

«Cela, a-t-elle pronostiqué, va affecter tous les secteurs même la réponse à la pandémie car le pays va devoir importer du materiel. Les conséquences sur les entreprises et les ménages sont celles que nous connaissons sauf que maintenant nous ne pouvons pas espérer une augmentation de dollars en circulation dans le pays car les transferts d’argent de la diaspora vont diminuer à cause des pertes en vie humaine et les pertes d’emplois du côté des Haïtiens de la diaspora, le tourisme va connaître des jours sombres et ne pourra pas jouer le même rôle qu’avant».

Pour Emmanuella Douyon, «il est trop tôt pour déterminer si l’aide humanitaire pourra faire une difference. En général c’est l’effet inverse car les dollars retournent chez les bailleurs, a-t-elle fait remarquer, soulignant qu’il est urgent de penser et d’adopter des mesures pour contenir les répercussions négatives et préparer la suite via, entre-autres mesures, plan de relance».

100 gourdes pour un dollar : traduction et augure pour l’économie…

« Cela peut refléter  plusieurs facteurs. D’abord, pour le premier trimestre de l’année fiscale 2019-2020, clos le 31 décembre 2019, un déficit record de 23 milliards de gourdes a été observé. Ce déficit a été financé par la Banque de la République d’Haïti (BRH) à hauteur de 15.9 milliards de  gourdes au 31 décembre 2019 (contre 5.34 milliards de gourdes au trimestre précédent). Ces niveaux de déficit engendrent généralement une dépréciation de la gourde ou une augmentation du taux de change », a campé le Dr Thomas Lalime, chroniqueur économique au journal Le Nouvelliste.

« Avec les nouvelles mesures annoncées par le gouvernement afin de lutter contre la propagation du coronavirus, le déficit budgétaire risque de s’aggraver pour les deuxième et troisième trimestres de l’année fiscale en cours », a soutenu Thomas Lalime. « La mise en œuvre de ces mesures coûtera facilement le double (pour ne pas dire le triple) des recettes publiques mensuelles évaluées à une moyenne de 6,2 milliards de gourdes pour les 5 premiers mois de l’exercice fiscal 2019-2020 », a-t-il prévenu, soulignant que « cette perspective n’augure rien de positif pour le futur du taux de change dans les jours à venir, malgré l’ampleur des mesures envisagées par la BRH ».

« Les 100 gourdes pour un dollar traduisent aussi un certain pouvoir de marché des banques commerciales qui interviennent sur un marché oligopolistique où les banques-leaders peuvent influencer le taux de change, bien qu’on ne voie pas vraiment l’intérêt pour ces banques de le faire. Toutefois certains pensent que certains propriétaires de banques commerciales peuvent en profiter à travers d’autres marchés comme la sous-traitance », a indiqué le docteur en économie Thomas Lalime. « Il demeure tout simplement difficile d’expliquer pourquoi le taux de change augmente ces derniers jours alors que les activités économiques sont au ralenti en Haïti à cause du coronavirus », s’est interrogé Lalime qui esquisse quelques perspectives.

« Les impacts négatifs de la pandémie du coronavirus peuvent amplifier la dépréciation de la gourde avec la baisse des transferts de la diaspora qui sera, elle-même, très affectée par le ralentissement ou l’arrêt de beaucoup d’activités économiques ».

« Le dollar, a prévenu Thomas Lalime, sera plus rare dans les prochains jours, avec pour conséquence éventuelle une augmentation du taux de change ». Pour Thomas Lalime, « quel qu’en soit la cause, cette augmentation ne fait qu’exacerber la détérioration des conditions de la majorité de la population haïtienne qui perçoit son revenu en gourdes et qui devra payer plus cher l’ensemble des biens importés, voire les produits et services locaux, à un degré moindre il est vrai ».

Des explications…

Le principal facteur explicatif de la volatilité des changes en Haïti, c’est l’augmentation de la masse monétaire, laquelle augmentation engendrée en majeure partie par le financement du déficit public, a indiqué l’économiste Énomy Germain, estimant que « le problème du financement monétaire doit être sérieusement abordé. Je vous informe que le financement monétaire a déjà franchi la barre de 21 milliards de gourdes, d’octobre 2019 à mars 2020 ».

« Le deuxième facteur explicatif de la hausse du taux de change est la dollarisation de l’économie. Les agents économiques ne croient plus dans la gourde, puisqu’elle perd de plus en plus sa fonction de réserve de valeur. Ils courent après le dollar pour épargner (plus de 65% du total des dépôts du système bancaire est en dollar aujourd’hui), ce qui augmente la pression. À chaque fois le taux de dollarisation augmente de 1%, le taux de change a tendance à augmenter de 2% », a analysé Énomy Germain qui a indiqué que la «  spéculation est globalement expliquée par les anticipations (négatives) des gens par rapport à la gourde ». «  Il ne faut pas négliger la force du dollar sur le marché international. Il est mesuré par un indice appelé indice du dollar », a souligné Énomy Germain, auteur de l’essai économique titré “Pourquoi Haïti peut réussir ?”

100 gourdes pour un dollar, la ”zénitude” du gouverneur Jean Baden

Le gouverneur de la Banque de la République d’Haïti (BRH), Jean Banden Dubois, interrogé par le journal le 23 mars dernier, se montre plutôt zen.« Pas de panique », avait insisté le gouverneur de la BRH. “Je pense que la gourde va se stabiliser par rapport au dollar. Les gens n’ont pas besoin de paniquer. C’est une situation qui est sous contrôle. La banque centrale interviendra quand il le faudra », avait poursuivi Jean Baden Dubois, qui soutient que ce renchérissement est lié à un ”petit affolement”.

« Il n’y a aucune raison qui justifie ce taux. Nos importations sont en baisse, même s’il est vrai que nos exportations ne sont pas importantes. Il n’y a pas de justifications par rapport aux fondamentaux, à part le poids du financement monétaire qui, certainement, est néfaste par rapport au taux de change, parce que nous avons mis beaucoup de gourdes dans le système et pas suffisament de dollars », avait soutenu le gouverneur de la BRH.

Pour le gouverneur Dubois, 100 gourdes pour 1 dollar n’est pas un seuil redouté. « C’est un seuil psychologique que nous ne redoutons pas… À partir du moment où il y a une amélioration des fondamentaux macroéconomiques, le taux de change baissera comme cela s’est déjà produit quand il est passé de 70 à 62 gourdes », avait-t-il indiqué.

Jean Baden Dubois table sur un carburant moins cher qui induira moins de subventions publiques pour les produits pétroliers, moins de financement monétaire, moins de pression sur le marché des changes en vue de trouver des dollars pour importer des produits pétroliers et beaucoup plus de discipline fiscale pour faire baisser la valeur du dollar par rapport à la gourde.

Le gouverneur de la BRH, qui mise aussi sur une aide financière externe des partenaires d’Haïti, croit que la situation actuelle montre qu’il faut investir encore plus dans la production locale. La BRH le fait et continuera à le faire, avait promis Jean Baden Dubois.

 

 

Source: Le Nouvelliste

Source : https://radiotelevision2000.com/home/?p=93685

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