A Taputapuātea, l’hypothèse du cannibalisme remis en question
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Lorsqu’en 1965, les recherches des anthropologues Sinoto et Emory débouchent sur le cannibalisme pour justifier la dispersion de restes humains à Taputapuātea, c’est aussi la conclusion la plus fréquente à l’époque, notamment en Nouvelle-Zélande. Un demi-siècle plus tard, les analyses de la chargée de recherche au CNRS, Frédérique Valentin, remettent en question cette hypothèse “qui n’est pas la seule possible”, ni “la plus plausible”. Dans un article paru la dernière édition des DAP (Dossiers de l’archéologie polynésienne) consacré à l’étude des ossements recueillis lors de la restauration effectuée par le Centre Polynésien des Sciences Humaines en 1994 et 1995, la scientifique ne relève “aucune trace de découpe”, d’impact de pression, ni de “grignotage”.
Et si des signes d’une combustion sont visibles sur la grande majorité d’entre eux, ils apparaissent après la décomposition des corps, lorsque les corps n’étaient déjà plus que des squelettes et les os déjà secs. Difficile dans ce contexte de retenir le cannibalisme qui “implique le traitement de cadavres frais”, mais plutôt des “dommages accidentels, liés à d’autres activités humaines ou animales”.
964 os humains à la loupe
Car sur les 2 179 restes osseux collectés et examinés, plus de la moitié (1213) sont des os animaux, principalement le cochon. L’inventaire et les caractéristiques observées sur les 964 restes humains en revanche, permet de conclure que plus de 14 personnes des deux sexes, dont trois enfants, avaient été déposés sur (ou inhumés dans) plusieurs des constructions composant le complexe cérémoniel.
Les datations radiocarbones pratiquées sur sept échantillons osseux et dentaires estiment leur décès entre la fin du 18e siècle et le début du 19e,“c’est-à-dire durant une période de profondes transformations des traditions culturelles et des pratiques funéraires” souligne la chercheuse. Un moment qui correspond également au développement de relations entre les Polynésiens et les colons.
Mais qui sont ces personnes et comment ont-elles été “recrutées” ? Si certaines caractéristiques (taille du bassin, du crâne, dégénérescence de l’os, éruption des dents) permettent de renseigner sur leur âge au moment du décès (périnatal, enfant, adolescent, adulte) sur leur sexe pour un adulte, ou sur une éventuelle pathologie, l’exercice demeure “délicat”.
Des “sacrifiés” du même groupe social
L’analyse des prélèvements par la datation radiocarbone montrera que ces individus présentent une morphologie caractéristique aux populations de Polynésie, ce que confirmera l’ADN extrait de dents. “Il s’agit donc bien d’individus d’origine locale qui, de plus, ne présentent pas de signe de métissage avec des Européens, ceci malgré une présence occidentale dans la région au moment où les individus déposés à Taputapuātea ont vécus” commente la chargée de recherche. Les ossements collectés témoignent néanmoins “d’expériences de vie”, comme une “forte sollicitation du système musculo-squelettique (os, muscles et articulations, Ndlr)durant leurs activités quotidiennes”, comme en attestent des lésions sur les os de la colonne vertébrale, des genoux et des coudes.
Mais ces atteintes, dont le nombre augmente avec l’âge, n’ont “rien d’exceptionnelles”, nuance la chercheuse. “Elles sont généralement considérées comme étant liées ou comme étant la conséquence d’un mode de vie actif ou à la pratique d’activités qui augmentent le risque de développement de lésions osseuses”. L’analyse du tissu osseux témoigne également de la “consommation importante” de pélagiques.
Les défunts de Taputapuātea n’auraient donc pas été sélectionnés sur des critères d’âge ou de sexe, “mais plutôt en raison d’une appartenance à un même groupe social, ayant partagé la même alimentation riche en poisson du large et les mêmes activités dommageables en particulier pour les articulations du bas du dos”, en déduit Frédérique Valentin. Définir ce groupe de manière plus précise reste cependant difficile à ce stade compte tenu des données disponibles.
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