Canada. Congrès. Mélanie Dubrulle : “Les musées ne peuvent plus être de simples gardiens du passé”
Canada. Congrès. Mélanie Dubrulle : “Les musées ne peuvent plus être de simples gardiens du passé”
Montréal. Lundi 28 octobre 2024. CCN. Suite à un appel à candidature de l’Office franco-québecquois pour la jeunesse, 4 jeunes de moins de 35 ans ont pu participer au Congrès annuel de la Société des musées du Québec, parmi eux une seule sélectionnée dans les Iles de la Caraibe “Française”. L’occasion pour Mélanie Dubrulle, chargée de la communication et de la médiation culturelle au Musarth de la Guadeloupe d’assister au Congrès et d’avoir de nombreux échanges avec des muséologues Québecquois. Une question se pose avec récurrence et pertinence : Les musées quebecquois vont-ils repenser les collections, l’éthique et la décolonisation ?
Mélanie Dubrulle (MD). Les musées du Québec se trouvent à un carrefour historique, où les questions d’éthique, de responsabilité sociétale, de gestion durable et de décolonisation des collections sont devenues centrales. Lors de récentes conférences tenues par la Société des musées du Québec, divers experts du domaine muséal ont partagé leurs réflexions et initiatives pour réinventer les pratiques de conservation, d’exposition et d’interaction avec le public. L’objectif ? Réunir la communauté muséale dans un esprit de réseautage et de développement professionnel afin de mieux connaître les transformations sociétales, écologiques et technologiques qui traversent les musées et leurs collections.
CCN. Que dire des collections et de l’engagement féministe ?
MD. Lors d’une première conférence, l’engagement féministe dans la gestion des collections a été discuté sous l’angle de la représentativité des femmes artistes dans les musées. La conservatrice du MUCEM, Amélie Lavin a exprimé les difficultés rencontrées pour faire valoir cet engagement auprès des décideurs politiques, malgré des retours positifs du public. Elle a également abordé la manière dont les objets muséaux peuvent être relus à travers le prisme du genre. Cette approche critique invite à une relecture des collections existantes pour mieux refléter les inégalités et les rapports de pouvoir dans l’histoire de l’art.
CCN. Peut-on parler de perspective décoloniale pour les musées?
MD. Ce qui est sur ce que Les musées ne sont pas simplement des lieux de conservation d’objets, mais des espaces de dialogue social et de réflexion sur notre histoire. Une autre conférence a mis en lumière l’importance de co-créer des collections avec des associations et des communautés locales. Ces initiatives s’inscrivent dans une volonté de repenser les collections sous un angle décolonial, en cherchant à préserver le sens des objets issus de cultures orales et corporelles, souvent marginalisées dans les musées occidentaux. Cette démarche implique une réflexion critique sur la manière dont les objets sont documentés et exposés, et comment les musées peuvent mieux intégrer la diversité culturelle et l’histoire coloniale.
CCN. Pourquoi parle-t-on de “collections vivantes” et d’ouverture des réserves ?
MD. En fait le j’ai compris que le Jardin botanique de Montréal a été pris en exemple pour illustrer les défis de la gestion des collections vivantes. Utilisant des technologies avancées comme la géolocalisation des plantes, ce musée vivant permet au public de découvrir la diversité biologique sous un nouveau jour. En parallèle, la question de l’ouverture des réserves muséales au public a suscité des débats. Bien que cette pratique renforce l’interaction avec les visiteurs, elle pose des questions cruciales sur la conservation des œuvres et les droits d’auteur. Certains musées explorent de nouvelles stratégies pour rendre les collections plus accessibles tout en assurant leur préservation à long terme.
CCN. La question de la gestion durable des collections a été soulevée ?
MD. La gestion durable des collections a également été abordée lors du congrès. Alors que les musées continuent d’accumuler des œuvres, ils font face à des contraintes financières croissantes. Certains musées réfléchissent à des stratégies pour trier, déclasser, voire détruire certaines œuvres, tout en prenant des décisions écoresponsables. Sur ce point le Québec est très en avance sur la France, car il est aujourd’hui quasiment impossible de sortir un objet des collections françaises car elles sont qualifiées comme étant « inaliénables » dans le code du Patrimoine. Ce qui pars ailleurs, pose problème lorsqu’un État autrefois colonisé par la France réclame la restitution de son patrimoine. Aujourd’hui, les musées québécois doivent gérer leurs collections avec précaution, en intégrant des pratiques de tri et d’aliénation qui préservent à la fois le patrimoine et l’environnement. Très en avance sur la question, l’idée de créer une plateforme de dons entre musées a été suggérée pour faciliter le transfert d’œuvres sans compromettre leur conservation.
CCN. Cela signifie qu’on pense désormais la collection dans une perspective décolonisée ?
MD. Cette question a été pleinement abordée. D’ailleurs, un point central des discussions a été la nécessité de repenser les collections dans une perspective décoloniale. Parmi les premiers panelistes, Eddy Firmin (artiste Guadeloupéen) dont la présentation édifiante et technique a abordé la thématique : et posé la question
La pensée décoloniale a-t-elle sa place au musée ?
Il ne suffit plus d’ajouter des œuvres d’artistes issus de la diversité pour répondre à cette exigence. Il faut aussi revoir la manière dont les objets sont décrits, exposés et contextualisés. Des musées comme celui de la civilisation à Québec s’engagent dans cette démarche en créant un guide pour des descriptions éthiques des collections. Cela implique également une réflexion sur la participation des communautés dans la manière dont leurs histoires sont racontées, et si leur consentement doit être sollicité pour la mise en mémoire de certains savoirs culturels.
CCN. Que dire de l’apport des nouvelles technologies et de la médiation numérique ?
MD. Enfin, les musées doivent également faire face aux défis technologiques. Le Musée des beaux-arts de Montréal, par exemple, a exploré les raisons pour lesquelles les dispositifs de médiation numérique ne fonctionnent pas toujours comme prévu. Ces outils, pourtant prometteurs, n’ont pas toujours réussi à établir un lien significatif avec les visiteurs. Le recul nécessaire pour se mettre à la place du public est essentiel, et des pistes, comme l’audio-description, sont envisagées pour améliorer l’accessibilité aux œuvres pour les publics en situation de handicap.
CCN. Dans ces conditions, comment envisage-t-on l’avenir du musée ?
MD. Les discussions tenues lors de ce congrès soulignent les défis auxquels les musées font face aujourd’hui. Ils ne peuvent plus être de simples gardiens du passé, mais doivent devenir des acteurs du changement social, en intégrant des pratiques éthiques, inclusives et durables. Que ce soit par le partage d’autorité dans la documentation des œuvres, l’ouverture des réserves au public ou la prise en compte des perspectives décoloniales, les musées du Québec repensent leur rôle pour répondre aux attentes d’un public de plus en plus engagé et critique. Ces initiatives montrent que le futur des musées est en pleine mutation, avec pour ambition de rendre les collections accessibles tout en respectant leur histoire et leur diversité. À ce titre, la Guadeloupe devrait se tourner davantage vers le Québec dont l’histoire coloniale présente des similitudes afin d’explorer des pistes de réflexions en adéquations avec nos territoires.
Mélanie Dubrulle
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