Dans les “squats” de Nouméa, avoir un toit passe avant l’indépendance
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Pour trouver son baraquement, il faut dangereusement quitter la voie express à l’entrée nord de Nouméa pour emprunter un chemin de terre cabossé qui conduit vers des dizaines de cabanes brinquebalantes, construites sur le site d’un ancien dépotoir. Bienvenue au squat Coca-Cola !
Coincé entre la route, un bras de mer pollué par les déchets et la proche zone industrielle de Ducos, ce squat, comme on baptise les bidonvilles en Nouvelle-Calédonie, se situe à quelques encablures de l’usine, qui fabrique la célèbre boisson gazeuse.
"Là haut, c’est une ligne haute tension de 25.000 volts, qui alimente la Société Le Nickel (usine métallurgique, ndlr). Ca fait un de ces boucans quand il pleut !", explique le jeune homme, en désignant la cathédrale de fer, qui surplombe son modeste logis.
Sorti de l’école en troisième, Kenji n’a pas réussi à intégrer le Centre de formation des apprentis de Nouméa, "à cause des maths", et il enchaine depuis les petits boulots.
Entre 2014 et 2018, dernier mandat de l’accord de Nouméa, la Nouvelle-Calédonie, où un processus de décolonisation progressif est en cours, devrait se prononcer pour ou contre le maintien de liens avec la France.
"mal logé, c’est toute la vie qui est déstructurée"
"C’est l’affaire des politiques. On a d’autres problèmes ici", explique le père de famille, dont la compagne fait des remplacements de femme de ménage.
Une quinzaine de membres de la famille de Kenji, pour la plupart originaires de Lifou dans l’archipel des Loyauté, vit dans ce squat insalubre, parmi lesquels sa tante, Joséphine, résidente des lieux depuis trente ans.
"La vie est trop chère, on ne peut pas se loger, même les courses, c’est dur", confie-t-elle, chignon tiré et robe traditionnelle aux couleurs vives.
Avec son mari, elle irait bien s’installer à Lifou, mais l’île dont la population n’a pas évolué depuis vingt-cinq ans (environ 8.700 hab.), offre peu de possibilité d’emplois.
Quelque 8.000 personnes, à 70% kanakes, vivent dans des squats à la périphérie de Nouméa, qui continue de concentrer emplois et richesses, malgré la politique de rééquilibrage économique en cours depuis 1988.
Les travailleurs pauvres sont les plus durement frappés par la crise du logement dans le Grand Nouméa, où les loyers du secteur privé ont grimpé de 43% entre 2002 et 2006.
"7.000 familles sont en attente d’un logement social, 20% du parc des bailleurs sociaux sont sur-occupés tandis que la production annuelle de logements sociaux a été divisée par trois depuis 2009, passant d’environ 1.000 à seulement 300. C’est dramatique", déplore Dominique Simonet, président de SOS Logement.
Installée dans un quartier populaire au nord de la capitale, l’association reçoit entre 300 et 400 familles par an, qu’elle accompagne dans les démarches administratives pour trouver un logement décent.
"Quand on est mal logé, c’est toute la vie qui est déstructurée. Ce phénomène est source d’échec scolaire et de délinquance, ce qui constitue autant de risques pour la stabilité du pays", ajoute-t-il.
Grâce à l’industrie minière du nickel et aux transfert financiers de la métropole, la Nouvelle-Calédonie a connu jusqu’en 2012, plusieurs années consécutives de forte croissance.
Mais la chute des cours du nickel et des incertitudes institutionnelles créent un climat d’incertitude, l’économie est désormais en repli, risquant de creuser encore les fractures ethniques et sociales de l’archipel, à la veille d’échéances politiques majeures.
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