De 18 mois à 3 ans de prison ferme pour les mutins du centre pénitentiaire de Majicavo
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C’est un procès atypique qui s’est ouvert ce jeudi matin au tribunal judiciaire de Mamoudzou. En effet, souvenons-nous, c’était il y a seulement quelques semaines, le 28 septembre, à l’occasion de la fin de la promenade, une mutinerie avait éclaté impliquant plusieurs dizaines d’individus. L’information avait alors fait le tour des médias nationaux. Outre de nombreuses dégradations, des détenus avaient mis le feu à un local et séquestré des surveillants pénitentiaires. Aussi, au début de l’audience la présidente du tribunal, Alexandra Nicolay, a remis en perspective les conditions particulières de la mutinerie qui couvait ce jour-là au sein du centre pénitentiaire. En effet, ce matin du 28 septembre à l’occasion de la promenade des détenus, de nombreux projectiles avaient été envoyés dans la cour de la prison depuis l’extérieur, par-dessus les grillages et les murs. De plus, la remontée dans les cellules était beaucoup plus lente que d’habitude, laissant ainsi penser que cette mutinerie aurait été préméditée.
D’après les déclarations des surveillants pénitentiaires, il y a eu un mouvement de foule au moment du retour de détenus dans les cellules. Certains ont essayé de forcer la porte afin que celle-ci ne puisse pas se fermer. Des surveillants se sont ainsi retrouvés coincés contre les grilles et ont reçu des cailloux de la part de certains détenus. D’autres surveillants réussirent à s’enfermer dans un local pour échapper à un possible lynchage. Plusieurs détenus ont alors pris un matelas pour y mettre le feu et l’ont installé devant la porte du local où se trouvaient des gardiens, le tout en chantant des chansons mortuaires. Les gardiens auraient été extraits alors par d’autres détenus afin de les sauver des flammes mais en les séquestrant par la suite. Certains d’entre eux voulaient en découdre quand d’autres voulaient un otage pour faire entendre leurs revendications. Car c’est bien de ça dont il s’agit : les détenus ont fait cette mutinerie pour protester contre leurs conditions de détention déplorables et le faire savoir, notamment à travers les médias. « Il n’y a pas d’évacuation d’eau et les TV ne marchent pas », explique alors l’un des prévenus à la barre du tribunal.
« Ce jour-là j’ai pensé que je ne survivrai pas »
L’un des surveillants, qui a été séquestré, est venu témoigner à la barre le tribunal encore choqué par ce qu’il a subi. « A l’occasion de la remontée de la promenade on est appelé en urgence pour sécuriser le portique. Quand j’ai vu mes collègues courir près de la porte je me suis dit qu’il y avait quelque chose de grave qui se passait et j’ai compris que les détenus étaient en train de préparer un coup. Ils ont arraché le portique, je suis allé vers la grille pour m’échapper, j’ai reçu des jets de pierres, ils m’ont poursuivi et donné des coups de barre de fer sur tout le corps. Ils ont alors pris mes clés et mon talkie-walkie. Ce jour-là j’ai pensé que je ne survivrai pas… C’était très difficile, je pensais à mes enfants », explique-t-il encore très ému. Selon lui, il n’y a pas d’antécédent de ce genre, il n’y a jamais eu de mutinerie de cette ampleur. « Ce sont des personnes qu’on voit tous les jours, qu’on a envie d’aider pour qu’ils s’en sortent », dit-il d’un air désabusé. Un autre surveillant est venu témoigner et d’après lui il n’y a aucun doute quant au fait que c’était prémédité. « Ils avaient l’intention de nuire, de faire du mal, de détruire l’établissement et de faire tomber les murs », raconte-t-il.
Des prévenus jeunes mais au pédigrée déjà impressionnant
Les prévenus sont âgés d’une vingtaine d’années et ont déjà tous un casier judiciaire bien rempli. En effet, pour au moins neuf d’entre eux, ils sont soit déjà été condamnés pour tentative d’assassinat, ou pour tentative de meurtre, quand d’autres sont en détention provisoire dans des procédures criminelles pour des faits de tentative de meurtre ou d’assassinat, sans compter les faits de violences, vols, attroupement avec armes, dégradations, etc. L’un des prévenus par exemple a été condamné à 10 ans de réclusion criminelle il y a quelques années, quand un autre a été condamné également en juin dernier par la cour d’assises à 18 ans de prison pour meurtre en bande organisée. Bref des pédigrées qui n’ont rien à envier aux membres des cartels mexicains !
Ce qui a par ailleurs été frappant lors de cette audience c’est la nonchalance et la désinvolture des prévenus face aux membres du tribunal, et notamment de la procureure qui n’a pas manqué à plusieurs reprises de les rappeler à l’ordre, souvent en vain. L’un d’eux avait même déclaré aux enquêteurs lors de sa garde à vue qu’il réserverait une surprise pour la procureure lors de l’audience. Le ton est alors monté plus d’une fois entre la procureure et les prévenus mais aussi avec la présidente du tribunal qui les a menacés de les envoyer dans la geôle en attendant la fin de l’audience, refaisant ainsi redescendre un peu la pression. Aussi, même si 80% des prévenus ont reconnu les faits, il n’en demeure pas moins que selon eux ils sont les victimes. « Les surveillants ne se comportent pas bien avec nous, ils nous provoquent » ; « 1 des surveillants m’a jeté de la sauce » ; « ils ont dégradé mon survêtement » ; « ils ne sont pas gentils, ils nous maltraitent, certains nous insultent ». Quand un a clairement dit qu’il voulait se venger car un surveillant ne lui avait pas donné son repas du midi, « il n’a pas le droit de me traiter comme un animal ». Un des prévenus a carrément déclaré que certes ce n’était pas bien ce qu’ils avaient fait mais « depuis ça allait mieux et qu’il y avait des améliorations… au moins ça a servi à quelque chose ».
L’hôpital qui se fout de la charité !
Le paradoxe dans cette histoire c’est que l’origine de cette mutinerie vient des conditions déplorables dans lesquelles vivent les détenus, parfois jusqu’à 5 dans une cellule de 9m2. « Je regarde les murs et les oiseaux toute la journée. On souffre beaucoup dans les cellules », raconte un prévenu. Quelques phrases qui n’ont pas manqué de faire sortir de ses gonds Me Hesler, avocat des surveillants et de l’administration pénitentiaire. « Parce que les conditions sont difficiles à Majicavo cela justifie les violences et les dégradations ? Cela servirait d’explication aux conditions de détentions qui sont celles à Majicavo ? », s’interroge l’avocat. Puis de ramener les choses à leur juste valeur en rappelant que certains prévenus ne sont pas Français mais originaire des pays voisins dans lesquels les conditions carcérales sont guère enviables. « Aux Comores, les conditions de détention sont pires, lance-t-il. Parce que la TV ne fonctionne pas et le temps de promenade est trop court on fait une mutinerie ? C’est inaudible pour les citoyens qui respectent la loi et qui paient leurs impôts ». Puis il a souligné le métier difficile qu’est celui de surveillant pénitentiaire. « Beaucoup sont en arrêt maladie depuis les faits pour raison médicale… Aussi, il convient de protéger les surveillants en sanctionnant les prévenus comme il se doit ». En attendant le renvoi sur intérêts civils, il a demandé une provision de 3.000 euros de préjudice moral pour chaque surveillant impacté par cette mutinerie.
Force à la loi
La procureure dans son réquisitoire a égréné une à une les situations dans lesquelles se trouvent les 10 prévenus, tout en reconnaissant que la surpopulation carcérale à Majicavo est un réel problème. « Cette prison n’est pas vétuste, elle est surpeuplée avec 688 détenus pour 278 places ce qui entraine des dégradations. Certaine cellule accueille jusqu’à 5 détenus dans 9m2 ». Concernant le problème des TV qui ne fonctionne pas, la procureure renvoie la balle aux détenus. « L’entreprise qui s’occupe de l’installation des TV a été liquidée… Elle devait changer les TV car beaucoup d’entre elles avaient été dégradées par les détenus eux-mêmes », explique-t-elle. A propos du chiffrage des dégâts causés par cette mutinerie ils s’élèvent pour l’instant à un peu moins de 200.000 euros selon les premières estimations. En outre, « une dizaine de personnels sont en arrêt maladie, une des deux cours est inutilisable car dégradée. Les prévenus ont eux-mêmes contribué à la dégradation de leurs conditions de détention. Ils exigent tout le temps, ils se victimisent alors qu’ils ont un comportement inacceptable ». Elle a ainsi requis des peines allant de 18 mois de prison jusqu’à 3 ans de prison en fonction de l’implication des prévenus dans cette mutinerie, avant de conclure : « Force à la loi ! ».
Les avocats des prévenus ont quant à eux mis en avant les conditions de détentions déplorables et inadmissibles au centre pénitentiaire de Majicavo. Ainsi pour Me Bourien, « les détenus ont lancé un cri d’alarme, de détresse ». Me Dedry : « ils n’ont pas de dignité humaine en étant cinq par cellule, c’est une honte pour nos institutions. Ils ont le droit à une vie correcte. Ils voulaient alerter sur leurs conditions de détention ». Enfin Me Ahamada, « c’est à la façon dont on traite ses détenus que l’on reconnait une société… ».
Après avoir délibéré, le tribunal a suivi les réquisitions du parquet en condamnant les prévenus à des peines allant de 18 mois à 3 ans de prison ferme.
B.J.
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