Échouage du Wakashio à Maurice : Naufrage d’un gouvernement et nouvel éveil citoyen
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Ordinairement évoqué pour tes plages de sable blanc baignées de soleil, tes lagons et récifs coralliens protégés, ta végétation maritime luxuriante et tes écosystèmes de mangroves exceptionnels, depuis le 6 août dernier tu attires l’attention de la presse internationale qui s’inquiète de ces tonnes d’huile lourde venues noircir tes eaux paradisiaques.
Véritable catastrophe écologique, cette fuite d’hydrocarbures est à replacer dans le contexte de l’échouage d’un navire japonais naviguant sous pavillon panaméen survenu le 25 juillet dernier.
Un jour après que le MV Wakashio se soit heurté à tes récifs, le Gouvernement revêtait son très populaire costume de défenseur de l’environnement à l’occasion de la Journée Internationale pour la Conservation de l’écosystème des mangroves et dénonçait fermement les actes de pollution et de destruction de tes mangroves.
Contradictoire, ce Gouvernement, en qui par le vote tu as placé ton avenir, affirmait dans le même temps que la situation relative au Wakashio était « sous contrôle » laissant ainsi ce navire prendre ses quartiers durablement sur ton récif.
Douze jours se sont écoulés avant que, sans surprise hélas, les courants conduisent le navire à déverser les premières fuites d’huile lourde dans ton lagon. Pendant douze jours, ce même Gouvernement, qui le 26 juillet dernier se vantait de ses initiatives visant à favoriser la conservation des forêts de mangroves sur tes côtes, a délibérément fait le choix de l’immobilisme, se rendant par la même occasion complice de la destruction de notre environnement marin.
Face à cette situation ubuesque une question revient : Pourquoi avoir attendu douze jours avant d’agir ?
La réponse à cette question est à trouver dans l’incapacité du Gouvernement actuel à mettre en œuvre les mesures adéquates afin de préserver l’intérêt général, de protéger la population et de faire avancer le pays.
À l’heure où la presse internationale s’émeut des conséquences écologiques qu’auraient le naufrage du Wakashio pour Maurice, la république du pays semble plus que jamais menacée par d’autres maux.
Dans le contexte de la crise sanitaire actuelle, le naufrage écologique coexiste tout d’abord avec le naufrage économique.
Alors que de nombreux médias internationaux ont récemment encensé Maurice comme l’un des premiers pays à avoir vaincu la COVID-19, la gestion de l’épidémie par le Gouvernement actuel risque d’avoir des conséquences dramatiques pour l’économie du pays.
Éprouvés par le manque de transparence du Gouvernement en ce qui concerne l’ouverture des frontières, les acteurs du tourisme, qui représente environ 24% du PIB national et dont près de 135 000 emplois dépendent directement, s’inquiètent de plus en plus de l’absence de vision et de perspective de reprise pour le secteur.
Petit pays,
Toi qui faisais jusqu’à présent figure de modèle du continent en matière de démocratie et de respect des droits humains, tu es aujourd’hui en proie à un véritable naufrage démocratique.
Tes dirigeants n’hésitent plus à s’emparer du véhicule législatif pour restreindre la liberté de tes citoyens. En témoigne ce récent projet de loi qui prévoit que quiconque produirait ou distribuerait un article, un objet ou un document transmettant des informations trompeuses sur la souveraineté de Maurice sur toute la partie de son territoire puisse être passible d’une amende de 5 millions de roupies et d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 10 ans.
Toi qui faisais jusqu’à présent figure de modèle du continent en matière de démocratie et de respect des droits humains, tu échoues manifestement à préserver la liberté de ta presse. En mai dernier, l’ONG Reporters Sans Frontières s’inquiétait que tu demeures « un territoire où les journalistes peuvent être condamnés à de la prison ferme pour des publications jugées d’outrage à l’ordre public ». Dans le même temps, L’Express, qui appartient pourtant à l’un des plus grands groupes de presse du pays, passait ces craintes sous silence et se félicitait que Maurice « grimpe de deux places » dans le classement 2020 de Reporters Sans Frontières.
Une nouvelle atteinte à la liberté de la presse est intervenue le 9 août dernier alors que les journalistes de l’Express et de Top FM se sont vu refuser l’accès à une conférence de presse donnée par le premier ministre.
Naufrage économique, naufrage politique et démocratique : le naufrage du Wakashio fait donc écho à une crise bien plus profonde et traduit parfaitement l’échec du politique à mettre en œuvre les mesures nécessaires à la relance du pays.
Petit pays,
Cette crise environnementale appelle un nécessaire renouveau de la vie démocratique et politique et, contre toute attente, laisse place à l’optimisme pour les mois et les années à venir.
Cet optimisme ne repose bien évidemment pas sur l’inertie d’un gouvernement dont l’absence de prise avec la réalité semble de plus en plus indiscutable. Face à cette inaction de l’État, le peuple mauricien a pris les choses en main afin d’entraver la progression de cette vague d’hydrocarbures sur ses côtes.
Venus de toute l’île, issus de toutes origines et de toutes catégories sociales, ces Mauriciens n’hésitent pas à tresser des barrages flottants et donner de leur temps pour ramasser les amas de pollution qui déferlent sur leur île. S’il en est un, le salut de l’île est à trouver dans la résilience et la solidarité des Mauriciens, qui ne se sont pas contenté de placer l’avenir de leur île entre les mains d’une quelconque force occulte, quand, dépassés par les événements, leurs dirigeants les enjoignaient à « prier pour que le temps, même permette de poursuivre le pompage de l’huile ».
Petit pays,
Ton peuple a fait preuve de responsabilité là où tes dirigeants ont fait preuve de négligence.
Ton peuple a fait preuve de proactivité là où tes dirigeants ont fait preuve d’inertie.
Ton peuple a fait preuve de solidarité, là où tes dirigeants t’ont abandonné.
Ton peuple a fait preuve de créativité, là où tes dirigeants se sont trouvés dépassés.
Plus que jamais, ton peuple a incarné ton hymne et a su donner sens à chacun de ses mots en s’unissant « tous debout, en un seul peuple, une seule nation ».
Si la gestion catastrophique de cette crise écologique sans précédent porte un coup fatal à la crédibilité du Gouvernement actuel aux yeux du monde entier, l’amour de la patrie et l’inventivité des Mauriciens rend justice à la réputation d’un peuple que le monde regarde aujourd’hui avec admiration, à l’heure où le patriotisme est une valeur qui se perd dans beaucoup de démocraties occidentales.
Véritable appel au changement, cette crise révèle le vivier de forces vives motivées à insuffler le souffle nouveau tant attendu pour permettre au pays de faire face aux nombreux défis qui s’offrent à lui pour les années à venir.
Le Wakashio doit emporter avec lui ces épouvantails de la vieille politique et laisser sa place à des esprits prêts à tenir compte des grands enjeux contemporains que sont la lutte contre les changements climatiques, la préservation de l’environnement et la diversité biologique, la transition écologique et l’engagement citoyen. Le naufrage du Wakashio doit être aussi celui de cette politique qui a plus d’une fois échoué à faire ses preuves. Près de 40 ans après le premier « miracle mauricien », ce renouveau de la vie démocratique et politique permettra peut-être de donner lieu à un second miracle économique.
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