Faux arrêté au port : Mansour Kamardine démonte le système Nel
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Ce fut un tremblement de terre ou plutôt de mer, au port de Longoni la semaine dernière. Les factures que doivent payer les entreprises qui y sont implantées s’avèrent être basées sur un arrêté départemental créé de toute pièce, avec imitation de la signature de l’ex-président du Département Soibahadine Ibrahim Ramadani. Une séquence judiciaire qui mériterait des échos au national, tant elle vaut bien les blanchiments et fraude fiscale de Jérôme Cahuzac ou les emplois fictifs de François Fillon.
Car si le premier avait été condamné à 4 ans de prison dont 2 ferme, et le second à 4 ans dont un ferme, ce sont des peines équivalentes qui pourraient tomber contre la présidente de Mayotte Channel Gateway (MCG) si le faux et usage de faux étaient reconnus.
L’arrêté du 28 avril 2016 avait été sorti comme par miracle en 2021 par Ida Nel pour valider une augmentation exponentielle des tarifs (+3.000%), répondant à ses besoins de financement de grues pourtant partiellement défiscalisées et donc financées par les contribuables, achetées sans validation du Conseil départemental, et à la durée d’amortissement raccourcie, créant des charges énormes.
Une des 15 entreprises du port, Maintenance Industrielle Mahoraise (MIM) a obtenu gain de cause au tribunal, qui ordonne à MCG de rembourser la somme de 501.923,32 euros trop perçus. Les juges étayent leur sentence en déclarant le prétendu arrêté comme « inexistant et déclaré nul et de nul effet » et en expliquant plus loin que malgré le signalement du président du Conseil départemental auprès du procureur pour une suspicion de faux document, avec imitation de signature, l’action au pénal s’était éteinte car « l’auteur du faux est demeuré inconnu et que l’usage de faux n’a pas été caractérisé ».
« J’ai été étonné du classement sans suite »
Il s’agit donc bien d’un faux, selon les juges de la juridiction administrative, et on ne peut que constater qu’il a été fait usage de ce faux, étant donné que plus de 500.000 euros ont été facturés en trop sur la foi de ce supposé arrêté déclaré nul et de nul effet par la justice. Et facteur aggravant, par une structure exerçant une mission de service public. On peut donc désormais suggérer aux enquêteurs que ce n’est pas parce que l’auteur du faux n’est toujours pas identifié, que l’auteur de l’usage ne doit pas être sanctionné.
S’il en est un qui connaît bien le dossier, c’est l’ex-député Mansour Kamardine, qui fut président du conseil portuaire, organe compétent pour émettre un avis sur les affaires du port. En 2021, il avait pointé une « privatisation du port » de Longoni, en dénonçant « les puissances visibles de l’argent qui s’immiscent dans le jeu démocratique et prennent en otage le Conseil départemental ». Une phrase que comprendront à sa juste valeur plusieurs élus.
Il revient sur les séquences qui ont précédé la condamnation au tribunal administratif de ce 24 septembre, en révélant que le bras de la justice pourrait s’abattre beaucoup plus lourdement sur Ida Nel. « Dans le cadre des travaux à mener au conseil portuaire, j’ai demandé l’arrêté original, mais les administratifs en poste m’ont signifié qu’il s’agissait d’un faux ». Il invite alors le président Ben Issa Ousseni, LR comme lui, à consulter un graphologue, et, au vu des résultats suspectant un faux, à déposer un signalement au procureur. « J’ai été étonné que cela soit classé sans suite étant donné l’ampleur de la fraude. Car à mon avis, il y a délit de concussion, qui est le fait, pour une personne dépositaire de l’autorité publique en charge d’une mission de service public, de sciemment exiger de percevoir une somme indue. » Une infraction punie de 5 ans d’emprisonnement et d’une amende de 500.000 euros dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction. « Et du moment que l’argent continue à être perçu, le délai de prescription n’est toujours pas actif ». Ce qui est le cas, et qui pourrait aggraver le cas de la présidente de MCG si elle faisait appel, car les sommes seraient toujours recouvrées.
Des conditions qui pourraient encore être aggravées si on prend en compte l’article 441-4 du Code Pénal : le faux commis dans une écriture publique ou authentique ou dans un enregistrement ordonné par l’autorité publique est puni de dix ans d’emprisonnement et de 150.000 euros d’amende. L’usage du faux mentionné à l’alinéa qui précède est puni des mêmes peines. Les peines sont portées à quinze ans de réclusion criminelle et à 225.000 euros d’amende lorsque le faux ou l’usage de faux est commis par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public agissant dans l’exercice de ses fonctions ou de sa mission.
Quand Ida Nel soumet un courrier à en-tête du Conseil départemental
Celui qui n’est plus député, « battu à l’illégal » glisse-t-il, a repris sa robe d’avocat et lâche une information supplémentaire : « Durant mon mandat au conseil portuaire, MCG m’avait soumis un courrier à en-tête du Conseil départemental, en me demandant de le faire signer par le président Ben Issa Ousseni. Ce que je n’ai évidemment pas fait car illégal, mais en tout cas, quelqu’un a accès aux papiers à en-tête du Conseil départemental ».
Comme nous l’avions indiqué, ce jugement est une première car il donne un coup fort au système Nel, il faut d’ailleurs regarder au-delà de la sentence, pour Mansour Kamardine : « Il va permettre de restituer les sommes indues aux acteurs économiques portuaires, mais surtout, ce jugement courageux permet de caractériser la cherté de la vie soulignée par des analyses qui voient dans le port de Mayotte le plus cher du monde. Et ceci, sous les yeux du Conseil départemental dont certains, dans la majorité craignent MCG pour avoir été en connivence, pour des raisons que tout le monde imagine. »
Selon lui, en tant que déléguant, le Conseil départemental doit « se ressaisir » : « Leurs avocats ont établi dès l’origine que MCG ne respectait pas la Délégation de Service Public, mais qu’elle a privatisé le port au lieu de le développer dans de meilleures conditions, impactant le développement économique du territoire. Il est temps de mettre un terme à cette DSP ». Il en va de la cherté de la vie sur le territoire et du rôle du Conseil départemental d’en protéger sa population.
Une rupture de la DSP sans indemnités
On sait qu’une partie des élus est trop impliquée personnellement dans l’histoire pour prendre une telle décision, quant aux autres, ils craignent de devoir payer des indemnités, là aussi, Mansour Kamardine s’inscrit en faux : « C’est un argument fallacieux. Je sais qu’Ida Nel les menace de devoir payer 120 millions d’euros. Or, étant donné qu’elle a cumulé plusieurs dizaines de manquements à la DSP, 27 exactement, cela est suffisant pour, non seulement justifier une rupture de la DSP sans indemnités, mais en plus, lui demander des pénalités. Car, cerise sur le gâteau, l’opacité d’accès aux comptes empêche le Département de bénéficier des ristournes prévues à la DSP ». Pour lui, il est urgent d’agir, « chaque jour de plus est un jour qui condamne l’avenir de Mayotte ».
La justice administrative vient d’avancer un pion qui devrait permettre au pénal de relancer l’enquête, avec une graduation dans le délit bien plus importante que les dernières condamnations d’élus mahorais. « Il faut maintenant que le procureur demande à madame Nel comment elle a reçu ce document, qui lui a fourni. » Il semble que plusieurs témoins seraient prêts à parler.
Il est même étonnant que la plainte ait été rapidement classée sans suite quand il suffisait d’interroger n’importe quelle entreprise du port pour comprendre que ses factures d’occupation étaient bien imputables à cet arrêté que nous avions qualifié de « fantôme » il y a plus de deux ans à la suite de l’analyse graphologique et des erreurs de syntaxe dans le texte. Chez les acteurs portuaires, on s’étonne que ce dossier ne soit pas traité avec le sérieux que la gravité des multiples infractions impose depuis des années maintenant, ils s’interrogent sur l’intérêt des personnalités qui peuvent protéger de tels agissements.
Il se pourrait donc que l’affaire s’avère autant politique que judiciaire…
Anne Perzo-Lafond
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