Jean-Bernard Huet : La Réunion : laboratoire des gilets jaunes (partie 2)
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En arrière plan de cette colère qui monte, les chaînes nationales diffusent celle des gilets jaunes en métropole. Manifestations de gilets jaunes des blancs et celles des métissés sont-elles convergentes et jusqu’à quel point ?
Les trous noirs de la République.
Le regard porté sur ces territoires oubliés de la mondialisation est un autre point de convergence avec les D.O.M, regard teinté de mépris.
L’alcoolisme, la misère culturelle, une forme d’illettrisme numérique seraient les caractéristiques de ces petites villes de la métropole, trous noirs de la République. Les autoroutes les frôlent ; n’y pénètrent, que les touristes à la recherche d’un temps perdu, d’une nostalgie des chemins de traverse des anciens régimes.
Les centre- villes sont semés de nouvelles friches : entreprises désaffectées, réclames publicitaires d’un autre âge, sites industriels abandonnés. Des monuments multi séculaires se dressent au milieu de ce champ de désespoir, telles les ruines d’une civilisation disparue, ruines d’une histoire millénaire.
Les petites villes se meurent, les villages autour sont moribonds. A chaque recensement de la population, les gagnants sont ceux qui voient leur population stagner.
Le monde de la mondialisation, est celui des « winners ». Ce monde-là est celui des « losers ».
Tel apparaissait et apparaît toujours l’univers des D.O.M. La monoculture de la canne à sucre se maintient grâce aux subventions, et si elle marque les paysages ce n’est que la cicatrice de la première révolution industrielle.
La misère culturelle, est évaluée, à l’aune de la trépidation des grandes métropoles. Et cette fameuse apathie tropicale, si bien connue, semble maintenant visible dans les petites villes et les campagnes de métropole.
Une conséquence surprenante du réchauffement climatique…
Mettre en avant sa culture régionale, ou tout simplement un certain mode de vie, c’est être plus respectueux d’une respiration familiale, sociale. C’est s’attacher aux solidarités de voisinage, à ses artistes, porteurs de voix inaudibles pour Parisiens dans le coup, à la « maison d’école » et même au café de la gare. Laquelle n’est plus.
Cette culture qui plonge ses racines, dans la tradition, ces modes de vie auxquels nous sommes liés constituent le sel de notre vie. Ici et là-bas. De toute notre vie, pas seulement le temps des vacances, ou nous accueillons les touristes au rythme du séga, du maloya ou du groupe de musique occitane ou de la fest noz bretonne.
La fête des chouchous ici, ou des cargolades là-bas, rassemblent des gens désireux, tout simplement, de se retrouver. Dans la sobriété de la salle polyvalente du village.
Petits pollueurs, grosse pénitence…
La nouvelle réglementation sur la limitation de la vitesse à 80km/h est un autre révélateur du monde que partagent les D.O.M. avec les provinces désunies.
La France des gagnants et des perdants se mesure à la présence des lignes de transports en commun de type métro ou tramway : outre les six grandes métropoles qui ont des métros (Lyon, Marseille, Toulouse, Lille, Rennes, et bien sûr Paris), 21 villes françaises possèdent des tramways. Se déplacer ne coûte que le prix d’un pass navigo.
Inversement une quinzaine des T.E.T. (Trains d’Équilibre du Territoire) est destinée à être fermée, si des opérateurs privés ou la Région ne les reprennent pas.
Restent les petites départementales. Réseau d’artérioles, elles irriguent une vie économique maintenue par les artisans (« la 1ère entreprise de France ») à bout de bras et de fin de mois. La bagnole, symbole de réussite des glorieuses années de la consommation, est devenue un objet honni.
Ce n’est que notre outil de travail.
La Réunion avait un « chemin de fer » créé en 1882. Il a été supprimé en 1976. Depuis nous connaissons les embouteillages aux deux entrées de la capitale.
L’île est congestionnée, pas par les Gilets jaunes, mais par un aménagement du territoire, conçu par des politiciens incultes, et des ingénieurs vite repartis en métropole…
Incapables d’anticiper sur les effets de la consommation à outrance qu’ils ont installé à force de centres commerciaux super et hyper, défaisant impitoyablement les liens tissés avec les champs et les gens.
Ces mêmes centres commerciaux régulièrement visés par les casseurs.
La nature tropicale sent bon le gas-oil et l’île est entourée d’une ceinture de béton. Applaudissons l’ironie de la situation : les petits fils de cette société de frime, les écolos des grandes métropoles, viennent nous donner des leçons pour bien vivre. Écologiquement bien sûr.
Savent-ils encore marcher « pattes à terre » comme nous ?
La nature, nous petites gens d’ici et de province, nous l’avons en ouvrant notre fenêtre. La brise, la farine de pluie, les senteurs de la campagne mouillée est notre biotope. Nous ne sommes pas tous des pollueurs.
Certains sentent bon la sueur.
La taxe sur les carburants est une punition imposée aux bouseux, aux destructeurs de la planète, aux fous du volant qui foncent à … 90km/h.
La charge émotionnelle que transporte, la demande de retrait des augmentations sur le carburant, va bien au delà de la taxe elle-même. Elle condense les frustrations d’un territoire non pas oublié, pas même négligé, mais tout simplement rayé des tableaux de pilotage.
Est-ce étonnant que les Gilets jaunes s’adressent directement au grand pilote ? Certes, les manifestations ne sont pas ciblées et les « revendications » hétéroclites ; mais les mépriser, parce que spontanées et désordonnées, c’est rater l’essentiel du message : « gazez nous, nous reviendrons ».
La solution n’est pas dans la réponse aux « revendications » comme l’on ferait pour un mouvement social classique. Ces revendications émergeront certes, seront formalisées et remonteront quelque part. Un accusé réception (« je vous ai compris ») sera délivré ainsi que de vagues promesses (« des petits déjeuners gratuits », comme promis par la ministre -A. Girardin ; « le moratoire sur les taxes »- Edouard Philippe).
Elles ne serviront qu’à occulter la réalité des choses : l’absence de projet pour ces espaces sortis de la mondialisation, donc de l’histoire. Ils ne figurent pas dans les agendas. Ces territoires ne sont plus que des terrains vagues. Les sourds sont aussi aveugles.
Se centrer sur ces revendications, c’est éviter de répondre à une question centrale : que faire de ces terres qui ne servent qu’à vivre ?
La couverture en transport urbain connecté distingue les centres des nouvelles périphéries. La carte du haut débit révèle d’autres ruptures, numériques : l’immersion dans la mondialisation est une condition d’existence économique. Aucune autre alternative est prévue. Écoutez le silence du président…
Le développement des D.O.M., après trois siècles de pacte colonial, contenant les flux commerciaux vers et depuis la métropole, n’a jamais été pensé (et pansé).
En miroir, le retrait des territoires périphériques des perspectives des multinationales, les expulsant des flux économiques, n’est qu’un effet collatéral.
Jean-Bernard Huet. Retraité.
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