Le combat pour l’émancipation dans les dernières colonies françaises
Le combat pour l’émancipation dans les dernières colonies françaises
Paris. Vendredi 26 septembre 2024. CCN. Cette énième manifestation contre la vie chère en Martinique met en exergue l’inégalité existante entre la France et ses colonies.
En écoutant attentivement les revendications du Rassemblement pour la Protection des Peuples et Ressources Afro-Caraïbéens (RPPRAC), nous comprenons que ses membres et sympathisants souhaitent un alignement des prix avec ceux de la France.
By Clara Maria (CCN Paris
1/ Autonomie et alignement des prix ?
En filigrane, ils semblent également demander “l’autonomie totale”. Si nous nous arrêtons au sens de cette dernière requête, “l’autonomie totale” signifierait la possibilité pour les élus martiniquais de gérer le quotidien des Martiniquais, tout en restant dans le giron français. En somme, “l’autonomie totale” serait le concept selon lequel la Martinique devrait tendre vers une évolution statutaire, en s’éloignant du mirage d’“égalité” promis à travers l’article 73 de la Constitution française. À ce titre, la Martinique ferait le choix de rester française, au détriment de l’indépendance.
Mais comment peut-on vouloir à la fois obtenir la capacité de décider pour son territoire, mener un combat contre la vie chère, et demander un alignement des prix avec ceux de la France ? En d’autres termes, comment peut-on à la fois chercher à se distinguer de son maître tout en souhaitant lui ressembler ?
Je m’explique : la cause est noble, et il est évident que les prix sont trop élevés dans les colonies françaises. Toutefois, vouloir l’égalité revient à réclamer l’assimilation, tandis que vouloir se différencier signifie accepter le mépris et prendre ses distances.
Pour répondre à ces interrogations, nous verrons que les Afro-descendants ont longtemps rêvé d’une égalité entre la France et ses colonies. Cependant, en 2024, le constat est sans appel : ce n’est pas l’égalité qu’il nous faut, mais l’émancipation, et la sortie de l’article 73 de la Constitution française.
2/ L’espoir d’une égalité de traitement dissipé par le sentiment d’abandon
En 1946, des élus de la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et La Réunion ont “choisi “la départementalisation, tandis que le ex colonies africaines optaient pour l’indépendance. Aimé Césaire a été le rapporteur du texte législatif qui a adopté ce statut pour les quatre colonies françaises.
Dans l’un de ses discours prononcés à l’Assemblée nationale française, il exprimait l’espoir d’un bel avenir pour les Martiniquais et Afro-descendants, notamment sur le plan social. En devenant des” départements français,” ces quatre colonies pouvaient prétendre aux mêmes droits que les Franco-Français. Aujourd’hui, ce sont ces mêmes droits sociaux qui font croire à une partie des Français que nous sommes des “vaches à lait”, alors que sans ces colonies, la France ne serait ni la cinquième puissance mondiale, ni la deuxième puissance maritime.
Par conséquent, nombreux sont ceux qui tentent de nous faire croire que sans la France, nous ne sommes rien, alors que, sans nous, la France n’est rien sur la scène internationale. L’espoir d’égalité a été anéanti, et les différentes crises sociales en témoignent.
En mai 1967, les émeutes en Guadeloupe ont éclaté, déclenchées par des manifestations contre les discriminations des ouvriers du bâtiment.
3/ De la Déclaration de Basse-Terre à l’appel de Fort de France
Le peuple Kanak a lutté pour l’autodétermination pendant des décennies, avec un point culminant lors des “Événements” des années 1980. En 2009, la Guadeloupe et la Martinique ont connu des grèves générales, provoquées par la hausse du coût de la vie et les inégalités sociales.
En 2018, des manifestations massives ont éclaté à Mayotte, dénonçant l’insécurité, l’immigration illégale et le manque d’infrastructures publiques. En 2017, la Guyane a connu un mouvement social d’envergure pour dénoncer les inégalités sociales, la dégradation des services publics et l’insécurité.
Ces différentes crises sociales montrent bien les limites de la France à gérer ses colonies. Le résultat est toujours le même : les colonies françaises se sentent abandonnées, voire méprisées. Après la Déclaration de Basse-Terre en 1999, nous avons encore nourri un espoir avec l’Appel de Fort-de-France.
En 2022, Serge Letchimy, président de la Collectivité Territoriale de Martinique (CTM), a été l’un des principaux instigateurs de l’Appel de Fort-de-France. Il a même évoqué la rédaction d’un article 73-1 de la Constitution, mais aujourd’hui, aucune information complémentaire n’a été communiquée.
Ce qui est certain, c’est que nous devons bien entendu lutter contre la vie chère, mais nous devons surtout accepter le rejet dissimulé derrière l’absence de réponse face à la souffrance populaire. Il sera difficile pour ceux qui nous exploitent de réduire leurs marges excessives. C’est pourquoi les colonies françaises doivent opter pour l’émancipation.
Accepter le rejet pour choisir l’émancipation des colonies françaises
En 2024, la lutte contre la vie chère est légitime, car selon plusieurs études, les prix des produits alimentaires dans les colonies, sont en moyenne 40 % plus élevés qu’en France. Personne n’oublie que certains fonctionnaires bénéficient d’une “prime de vie chère” à hauteur de 40 %, ce qui revient à reconnaître implicitement que la vie en Martinique est effectivement plus chère qu’en France.
Longtemps, ma réflexion s’est focalisée sur la suppression ou non de cette prime pour les fonctionnaires. Puis, j’ai pensé au secteur hospitalier, aux infirmiers qui soignent nos malades avec patience et courage, et je me suis dit qu’une autre solution pourrait être mise en débat.
Il est probablement difficile pour nous, Afro-descendants, d’accepter la différenciation qui existe entre la France et ses colonies. Mais l’heure n’est plus à la peur du rejet ou de l’abandon. Nous devons accepter cette réalité : les colonies françaises ne seront jamais égales à la France. Nous devons désormais sortir de la soumission totale. Nos élus affirment ne pas avoir le pouvoir de prendre certaines décisions, mais pourquoi ne cherchent-ils pas à obtenir cette capacité ?
Je comprends la peur qui peut nous habiter, mais pendant que nous tergiversons, l’État français ne tergiverse pas. Il répond en envoyant des militaires dans ses colonies. Nous ne devons plus chercher l’égalité et la continuité territoriale, mais l’émancipation, en sortant de l’article 73 de la Constitution.
Alors, comment en sortir ?
Clara Maria
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