Les aborigènes d’Australie en détention souffrent toujours d’une profonde injustice
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Détention dès l’âge de 10 ans, comportements racistes répétés font partie des faits qualifiés de “honte nationale” par les dirigeants autochtones.
Plus de 450 indigènes sont morts en prison depuis le rapport, en 1991, de la commission royale sur les décès d’aborigènes en détention, notamment cinq depuis début mars.
La colère gronde face à ce bilan de plus en plus lourd et en l’absence de toute condamnation de policiers ou d’agents pénitentiaires dans le cadre de ces décès.
Nioka Chatfield ne se remet pas de la perte de Tane, son fils de 22 ans, retrouvé inconscient dans sa cellule alors qu’il était en détention provisoire. Il est décédé à l’hôpital.
“C’est une expérience douloureuse et tragique que nous, aborigènes d’Australie, devons endurer”, a-t-elle témoigné auprès de l’AFP. “Et cela dure depuis que le Capitaine Cook a débarqué ici. Nos grands-mères fuyaient devant les policiers à cheval. Maintenant, nos enfants fuient devant les voitures (de la police) même s’ils n’ont rien fait”.
L’enquête de 1991 avait révélé que les membres de la communauté autochtone, proportionnellement plus nombreux en détention, avaient plus de risques de mourir lors de leur séjour en prison.
Victime du système
Les aborigènes et les indigènes du détroit de Torrès représentaient alors un peu plus de 14% des prisonniers adultes.
Depuis, ce chiffre a presque doublé pour atteindre 29% alors que les autochtones ne représentent que 3% de la population australienne, selon les chiffres officiels.
La situation est bien pire pour les enfants de la communauté autochtone, qui représentent environ 65% des jeunes en détention.
Beaucoup de ces décès sont attribués à des problèmes de santé préexistants, à une automutilation ou à des soins médicaux inappropriés.
Une enquête officielle a conclu l’an passé que Tane Chatfield, qui souffrait de dépression et se droguait, s’était suicidé.
Mais aux yeux de sa famille, ce jeune papa a été victime du système.
Nioka Chatfield a promis à fils mourant de tout faire pour qu’il en soit pas mort pour rien.
Une quinzaine de familles ayant perdu un proche appellent à de vastes réformes du système pénal.
Elles appellent à la création d’un organisme indépendant pour enquêter sur ces décès, à la fin des mauvais traitements et à une hausse de l’âge de la responsabilité pénale, 14 ans au lieu de 10.
Leurs demandes sont soutenues par les communautés autochtones et les associations en charge de la réforme judiciaire. La France, le Canada et l’Allemagne ont exhorté l’Australie à porter l’âge de la responsabilité pénale à 14 ans, conformément aux recommandations de l’ONU. Les travaux sur cette question ont cependant été interrompus l’an dernier.
“Honte nationale”
Le sénateur de l’opposition Patrick Dodson, un autochtone, a qualifié le nombre de morts indigènes de “honte nationale”. “Seules une volonté nationale et des changements politiques fondamentaux permettront d’éviter cette crise”, a-t-il écrit sur Twitter.
Selon un rapport réalisé en 2018 par Deloitte pour le cabinet du Premier ministre, 35% des 339 recommandations de la commission royale, parmi lesquelles la prise en compte du préjudice subi par les indigènes, n’ont pas encore été totalement mises en oeuvre.
Thalia Anthony, professeur de droit à l’Université de technologie à Sydney, estime pourtant que ces réformes “auraient pu sauver des vies”.
Le gouvernement semble sourd à ces appels et a même récemment proposé des lois de remise en liberté sous caution plus sévères pour les jeunes afin de lutter contre la hausse de la criminalité.
Les enfants autochtones sont 17 fois plus souvent incarcérés que les autres enfants et l’organisation aborigène “Change the Record” a qualifié ces nouvelles propositions de “dangereuses”.
Le gouvernement australien, qui admet des échecs, s’est engagé à réduire le taux d’incarcération des adultes autochtones de 15% et les taux de détention des jeunes de 30% d’ici 2031.
Le ministre des Affaires indigènes, Ken Wyatt, premier autochtone membre d’un gouvernement, a appelé “tous les niveaux de gouvernement” à travailler ensemble pour réduire le nombre d’indigènes ayant affaire au système judiciaire.
Pour nombre de militants, dont Colin, le père de Tane Chatfield, le fond du problème est lié au racisme qui persiste au sein de la société australienne. “Si nous ne nous débarrassons pas du racisme, nous ne nous débarrasserons pas des décès en détention”.
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