L’Etat Islamique, « c’est une usurpation des valeurs de l’islam ! »

Au lendemain de la décapitation du français Hervé Gourdel en Algérie, le député mahorais Ibrahim Aboubacar s’exprime sur l’EI, sur ses méthodes de recrutement, et sur l’islam à Mayotte, île musulmane à plus de 90%.

JDM : Comment interpréter l’horreur que sont les décapitations filmées de l’Etat Islamique ?

Ibrahim Aboubacar : « La décapitation de notre compatriote Hervé Gourdel, au même titre que celles des autres citoyens britanniques ces dernières semaines est insupportable, inhumaine et injustifiable, comme tous les autres actes de terreur que ce groupe prétendument islamique inflige dans cette région à tous ceux qui ne pensent pas comme eux, quelque soit leur foi.

De tels actes ne peuvent être commis au nom de n’importe quelle religion, pas plus qu’au nom de l’islam, pas même au motif du djihad. Le djihad est une réponse à ceux qui empêchent la pratique de l’islam, mais à ma connaissance, personne n’interdit aux musulmans de cette région d’exercer leur foi. C’est une usurpation des valeurs de l’islam. C’est pourquoi nous devons condamner avec la plus grande clarté les agissements de ces groupuscules, celui-ci comme d’autres.

Quelle est votre opinion sur l’Etat Islamique ?

I.A : Si l’on s’en tient à leur revendication première, ils veulent implanter un califat sunnite à cheval sur deux Etats déstabilisés, l’Irak et la Syrie. Mais en y regardant de plus prés, ce n’est qu’une partie de ce qu’on appelle une Internationale terroriste qui se développe sur le dos de l’islam en le salissant. Pour s’en convaincre, il suffit de relever les allégeances entre les différents groupes existants, jusqu’en Afrique sub-saharienne et de relever que l’assassinat de notre compatriote a été perpétré en Algérie.

Certains pensent que l’intervention de la France en Irak expose le pays aux représailles…

I.A. : C’est totalement faux ! Il ne faut pas inverser les rôles : ce n’est pas parce qu’on combat telle ou telle personne qu’on va être menacé, mais bien parce que des terroristes nous menacent qu’il faut s’engager. Partout où ils frappent, ils s’attaquent aux libertés et maintiennent les gens dans l’obscurantisme. Ils prospèrent grâce à des trafics en tous genres, drogues, enlèvements… La constitution d’otages représente à la fois une cagnotte de guerre et une tentative de déstabilisation des démocraties contre lesquelles ils se battent. C’est pourquoi je soutiens l’action du président de la République dans ces conflits, que ce soit hier au Mali, ou aujourd’hui en Irak, dès lors que ces interventions sont en accord avec le droit international.

Qu’est-ce qui est le plus inquiétant ?

I.A : Les Etats ne sont pas les seuls à être visés. Les menaces pèsent aussi sur les citoyens, et en particulier les jeunes Français et Européens, touchés par leur propagande : ils sont un millier à être enrôlés dans cette folie du théâtre irako-syrien. Certains sont Français et reviennent sur le territoire avec la volonté de commettre des actes de terrorisme. C’est pourquoi il faut les combattre à l’extérieur, mais aussi à l’intérieur de nos frontières.

Comment peut-on prévenir ce danger ?

I.A : Par des mesures législatives tout d’abord comme en a pris le gouvernement avec des mesures préventives et répressives : la loi antiterroriste adoptée à l’Assemblée nationale et qui se dote de moyens nouveaux comme l’interdiction à tout citoyen français suspecté de vouloir se rendre dans ces régions à des fins terroristes de quitter le territoire, ainsi que des mesures contre la cybercriminalité en matière de propagande djihadiste sur les réseaux sociaux, les sites seront bloqués.

Par des mesures de coopération de renseignement international ensuite, par la modernisation de nos services d’enquête ou scientifiques car ces groupuscules utilisent les dernières technologies en vigueur, et enfin, par la prise de conscience que l’unité nationale doit être sans faille devant de telles menaces et doit transcender les partis politiques, les frontières religieuses ou communautaires. Le danger terroriste nous concerne tous : il faut un contre discours pour faire comprendre aux jeunes que le chemin du terrorisme est celui de la destruction et de la mort, et ne mène nulle part, surtout pas au paradis.

Le Conseil Français du Culte Musulman a invité les fidèles à une manifestation pacifique à Paris…

I.A : Face à ce phénomène terroriste, les musulmans de notre pays ne sont naturellement pas responsables de ces fous djihadistes. Nous devons dénoncer ces actes au même titre que tous les actes terroristes d’où qu’ils viennent. Le Conseil Français du Culte Musulman prouve qu’elle est une structure utile comme les autres structures religieuses. Le Conseil doit intensifier ses liens avec les autorités musulmanes de notre pays pour anticiper… On ne sait jamais…

…Et à Mayotte ? Est-on à l’abri ?

I.A : Ici, l’islam est tolérant, de type sunnite, et a structuré la société dans la paix et la tranquillité. Mais nous assistons à des pertes de répères. Il n’y a pas à ma connaissance de réseaux extrémistes sur l’île, même s’il existe des divisions dans la société musulmane. Mais on a appris qu’à Nairobi, des citoyens comoriens avaient été impliqués dans un attentat. Dans certaines mosquées mahoraises, il y a eu des prêches aux contenus qui tranchent avec l’esprit traditionnel musulman que nous connaissons ici. La population y a mis un terme d’elle-même. Mais cela pose une problématique pour l’avenir : maintenir des imams dans nos mosquées, mais qui n’ont plus le temps d’y dire la prière. La formation des imams est un défi que la France doit relever pour ne pas que le pays soit envahi par des idées contraires à la religion.

Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte

Source : http://lejournaldemayotte.com/societe/letat-islamique-cest-une-usurpation-des-valeurs-de-lislam/