Liberté de la presse : Pierre Marchesini répond à Reporters sans frontières
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Médias. Après le président Edouard Fritch, c’est au tour du groupe Média Polynésie de répondre à la lettre ouverte de Reporters sans frontières.
Le président de la Polynésie a rejeté les accusations de l’ONG et déclaré avoir des relations “ouvertes” et “franches” avec les journalistes (lire ICI).
Ce lundi, Pierre Marchesini, directeur de publication de La Dépêche de Tahiti, réagit à son tour. Dans une lettre titrée “Reporters sans frontières n’a pas peur du ridicule”, il pointe du doigt la “légèreté professionnelle” dont ferait preuve, selon lui, l’auteur de la lettre, Antoine Héry, journaliste responsable du bureau Union européenne et Balkans pour RSF.
Le directeur de publication revient sur la fermeture du journal Les Nouvelles de Tahiti, qui “ perdait entre 10 et 20 millions de francs Pacifique par mois”, explique-t-il. Il écarte tout autre motif y compris celui de règlement de compte avec les journalistes, précisant qu’ils ont tous été repris dans l’autre quotidien du groupe, La Dépêche de Tahiti.
Pour Pierre Marchesini, la lettre ouverte de Reporters sans frontières “est un tissu d’affirmations gratuites et erronées”, conclut-il.
Reporters sans frontières n’a pas peur du ridicule Dans une lettre ouverte datée du 19 mars 2015, M. Héry, délégué de l’association “Reporters sans frontières” pour l’Union européenne et les Balkans (!) s’adresse au président de la Polynésie française, M. Edouard Fritch, pour lui “faire part de ses inquiétudes concernant la situation de la liberté de la presse en Polynésie française”. Causes des inquiétudes de M. Antoine Héry : “Depuis 2013, les pressions financières auxquelles font face les journaux et les difficultés que rencontrent les journalistes dans leur travail se sont accentuées”. Subventions du pouvoir politique ?! Comme dirait Brassens “qu’en sait-il, le bougre ?” Que sait-il de la presse en Polynésie pour formuler de telles accusations ? Même à Tahiti, surtout dans les milieux de la presse où l’on connaît ses indéniables difficultés, personne n’est en mesure d’affirmer preuves à l’appui qu’elles débouchent sur une “autocensure” liée à l’actionnariat. M. Héry, qui en principe doit être journaliste, fait preuve ici d’une grande légèreté professionnelle. M. Héry : “Savez-vous comment se finance un journal ?” La vérité, M. Héry, c’est que ce quotidien perdait entre 10 et 20 millions de francs Pacifique par mois (oui vous avez bien lu, près de deux cent mille euros) en raison de la chute des ventes et des rentrées publicitaires, et qu’aucune subvention n’aurait pu le sauver car il était dans une situation de grave déficit, de plusieurs millions d’euros. Sans le soutien de son groupe depuis des années, il aurait disparu depuis longtemps. Affirmations hasardeuses Poursuivons. Qu’est-ce qui vous permet cette affirmation : “En Polynésie française, les médias sont moins nombreux et les journalistes plus sédentaires qu’en métropole” ? Proportionnellement, rien n’est moins sûr. Depuis les années 90, nous avons assisté à la naissance de deux quotidiens : Tahiti Matin et Tahiti Infos, quatre hebdomadaires : Le consommateur polynésien, La Tribune Polynésienne, L’Echo de Tahiti Nui, Toere, La Semaine de Tahiti, Fenua Orama, deux mensuels : Tahiti Pacifique et Maisons du Fenua, deux annuels économiques : le Dixit et Fenua Economie, sans oublier une demi-douzaine de journaux municipaux et autant de médias sur Internet… et probablement d’autres. Certains de ces médias ont disparu, mais les créations et les disparitions ont inévitablement créé de nombreux mouvements de journalistes, à tel point qu’il est ridicule de qualifier ceux-ci de “sédentaires”. En conclusion, M. le “délégué de l’association Reporters sans frontières pour l’Union européenne et les Balkans”, votre lettre ouverte est un tissu d’affirmations gratuites et erronées qui n’honore pas votre profession. Et si vous répondez à cet article, merci de nous indiquer combien il y a de journalistes en prison dans les Balkans. Pierre Marchesini Directeur de publication de La Dépêche de Tahiti |
Monsieur le Président, Reporters sans frontières (RSF), organisation internationale de défense de la liberté de l’information, souhaite vous faire part de ses inquiétudes concernant la situation de la liberté de la presse en Polynésie française. Depuis 2013, les pressions financières auxquelles font face les journaux et les difficultés que rencontrent les journalistes dans leur travail se sont accentuées. Nous espérons donc que vous saurez apporter dans un futur proche des solutions concrètes à un contexte de travail difficile pour les journalistes. Journalisme et politique Nous mentionnions plus haut que les petits territoires étaient plus sujets aux conflits d’intérêt et aux problèmes de concentration. En Polynésie française, les médias sont moins nombreux et les journalistes plus sédentaires qu’en métropole ; un phénomène que l’on retrouve dans le paysage politique. Dans un tel système, les vertus des individus sont parfois plus importantes que celles du système. Dès lors, en tant que responsable politique de premier plan, vous avez une responsabilité tout particulière. Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de nos sentiments distingués. |
à MonsieurAntoine HERY Monsieur, Je note d’ailleurs que le maintien de deux quotidiens par le groupe Hersant relevait d’une stratégie qu’il a appliqué dans certaines régions de métropole pour limiter l’implantation de titres concurrents. Or, il s’avère qu’un autre groupe, très solide économiquement, avait commencé à jalonner son implantation avec le gratuit d’information Tahiti Infos. Sur le plan du soutien financier aux entreprises de presse, je vous indique qu’elles sont également éligibles au dispositif de la défiscalisation locale pour leurs investissements. C’est ainsi que la société Pacific Presse (Tahiti Infos) a été agrée en décembre 2013 pour l’achat d’une rotative pour un crédit d’impôt maximum d’un peu plus de 255 millions FCFP (soit un peu plus de 2 millions d’euros). Encore une fois, mon point de vue n’était pas une injonction, et les responsables des rédactions ne m’ont pas formulé de commentaire particulier lors du cocktail que nous avons partagé. En tout état de cause, ma parole est libre, au même titre que celle des journalistes. C’est cela aussi la démocratie. Et si j’ai bien employé le terme de « loyauté », je vous invite à le replacer dans le contexte de la phrase prononcée : « je souhaite que nos relations s’inscrivent dans un climat de confiance et de respect mutuel, de loyauté aussi ». Il s’agit donc de réciprocité, ce terme s’appliquant également à moi. Je vous renvoie par ailleurs à la définition du Larousse de ce terme : « probité, droiture, honnêteté », ce qui me semble correspondre à l’esprit de la charte de déontologie des journalistes (la déclaration de Munich de 1971, qui a sans doute mieux apprécié le terme « loyauté » que vous, rappelle d’ailleurs qu’un journaliste ne doit « pas user de méthodes déloyales pour obtenir des informations »). Pour ce qui me concerne, mes relations avec les journalistes sont ouvertes et franches. Chacun peut discuter librement avec moi, sans qu’il soit nécessairement utile d’user d’un certain formalisme, d’autant que dans notre petit pays chacun se connaît bien et se tutoie. Je n’ai jamais cherché à entraver le travail de la presse ou à fait quelque pression qui pourrait nuire à l’exercice de l’expression libre et indépendante des médias. C’est très mal me connaître que de penser ainsi. J’espère avoir répondu à vos interrogations et je vous incite à venir en Polynésie française pour vous rendre compte par vous-même de la réalité du paysage médiatique polynésien, mais aussi des difficultés économiques auxquelles notre Pays a à faire face depuis une dizaine d’années, et qui ont entraîné la fermeture de nombreuses entreprises et la perte de 15.000 emplois. Je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de mes salutations les meilleures. .
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