« On a vu une intention de faire mal, de détruire »
Partager cet article
Ils sont dix à être finalement punis pénalement pour leur participation à la mutinerie et la prise d’otage du samedi 28 septembre, à la prison de Majicavo-Koropa. Ce jeudi soir, le tribunal correctionnel de Mamoudzou a donné des peines de prison allant de dix-huit-mois à trois ans de prison. Les mutins, tout comme leurs avocats, ont clamé qu’ils ont fait ça pour dénoncer leurs conditions de détention dans l’établissement pénitentiaire le plus densément peuplé de France (686 détenus pour 278 places).
La prison, ils connaissent déjà. Certains sont déjà dans celle de Majicavo-Koropa depuis plusieurs années, pour d’autres, cela fait quelques mois. Ce qui est sûr, c’est qu’après le procès de jeudi, ils pourront y passer davantage de temps (ils peuvent faire appel dans les dix jours). Le tribunal correctionnel de Mamoudzou a rendu son délibéré, ce jeudi soir, au bout d’une journée dédiée à la mutinerie du samedi 28 septembre. Ce jour-là, après une matinée riche en projections depuis l’extérieur (cigarettes, bangué,…) dans les deux cours du CDH (centre de détention pour hommes), les fouilles avant la remontée ont pris plus de temps que prévues. Cette promenade se fait habituellement deux fois par jour, les prisonniers peuvent sortir par niveau et à chaque fois pour une durée d’une heure. Vers 15h, c’est lors d’une remontée des détenus placés au rez-de-chaussée que tout a dégénéré. Un groupe a forcé le passage pour rentrer à l’intérieur du bâtiment, envahissant le couloir, face à des surveillants dépassés.
A cet étage et au premier, les agents pénitentiaires ont été poursuivis et caillassés. Le chef du CDH a été ainsi frappé avec une barre de fer par un des détenus, mais a eu le réflexe de se protéger la tête avec son bras. « Ils m’ont donné des coups sur le dos, partout sur le corps. C’était chaud. J’ai pensé à mes enfants », raconte le jeune père de famille à l’audience de ce jeudi, avant de ne plus pouvoir retenir ses larmes. S’il est parvenu à partir, il a été obligé de donner ses clés, tandis que les autres ont dû se mettre à l’abri comme ils pouvaient. « On a vu une intention de faire mal, de détruire, de faire tomber l’établissement », ajoute un autre agent, qui compte neuf ans d’expérience. Deux surveillants ont ainsi été enfermés dans un local technique. Ils ont vu cependant la porte forcée à plusieurs reprises sans succès et ont entendu des chants mortuaires dans le couloir. Au premier étage, un autre décrit comme « imminemment gentil » par ses collègues et les détenus, a tenté également de s’enfermer dans son bureau. Mais avec la clé prise au chef du bâtiment, les détenus ont pu entrer. S’il n’a pas été frappé, il a été transféré du bureau à la cour par deux fois en étant entouré par les mutins. Pour une partie d’entre eux, il était l’otage idéal pour demander de meilleures conditions de détention dans cet établissement qui compte un peu moins de 700 détenus pour 278 places théoriques. Ce n’est qu’après trois heures que son calvaire a pris fin avec l’intervention de la gendarmerie contre des mutins décrits comme « calmes » et « coopératifs ».
« Je m’en bats les couilles, man »
Au tribunal judiciaire de Mamoudzou, les premières comparutions immédiates ont débouché sur un renvoi pour éviter de juger par deux fois la même affaire. C’est donc ce jeudi, pendant une journée dédiée que dix détenus, entourés par une douzaine de gendarmes mobiles, sont jugés. Ils y apparaissent parfois goguenards ou passablement énervés. Quand la procureure de la République adjointe, Stéphanie Pradelle, rappelle à l’un d’eux qu’il avait répondu : « Je m’en bats les couilles, man », lors d’une question posée pendant une des auditions, celui-ci l’admet : « Oui, j’ai dit ça parce que j’étais vénère (sic) ». « Vénère », le jeune homme de 22 ans originaire de Mohéli, et qui fait partie d’une bande de Labattoir, l’est à plusieurs reprises ce jour-là. Âgés de 18 à 23 ans, ils sont nombreux à s’emporter lorsqu’ils évoquent leurs relations avec les agents, n’hésitant à se retourner et à pointer du doigt ceux qui d’habitude les surveillent. « Tu n’es pas à ma place, tu ne sais pas ce que je vis », dit le premier en s’adressant à la présidente du tribunal correctionnel. « Votre présence en détention n’est qu’une conséquence de vos actes », lui répond Alexandra Nicolay, qui est par ailleurs juge des libertés et de la détention.
Les autres tiennent ou prou le même discours, ça serait le traitement et les conditions de détention (ils sont parfois quatre ou cinq dans des cellules pour deux) qui ont provoqué ce mouvement. Une majorité le décrivent comme spontané. Pour d’autres, le mot commençait à circuler, mais sans qu’une date ne soit fixée. Hormis un qui ne compte « qu’une » condamnation de trois ans de prison pour attroupement armé, les neuf autres attendent ou ont déjà connu un procès criminel. L’un a été condamné à 18 ans de réclusion pour un meurtre en bande organisée en Petite-Terre en 2021, un deuxième à dix ans de prison pour l’enlèvement du secrétaire général du lycée agricole de Coconi en 2020. Un troisième sera jugé par la cour d’assises, la semaine prochaine.
« Est-ce qu’une action syndicale mérite trois ans de prison ? »
Plusieurs faits leur sont reprochés, les violences sur les agents, la séquestration de l’un d’eux, la rébellion et les dégradations des locaux (l’administration a évalué les dégâts à 196.500 euros). Pour les avocats et leurs clients, la mutinerie est à mettre sur le compte de la surpopulation carcérale, rappelant la démission dans la foulée du directeur Nicolas Jauniaux. Pour maître Kossi Dedry, c’est « un cri d’alarme ». « C’est pire que des poules dans des cages », renchérit maître Luc Bazzanella. Maître Soumetui Andjilani, qui défend « le poète » mohélien de 22 ans, va plus loin en comparant les précédents blocages du centre pénitentiaire par des agents grévistes avec la mutinerie. « Est-ce qu’une action syndicale mérite trois ans de prison ? », demande-t-il. Les conseils regrettent également de ne pas avoir eu accès à la vidéosurveillance qui a souvent déterminé le rôle de chacun pendant l’instruction et poussé les auteurs à reconnaître leurs faits. « On peut faire dire ce qu’on veut à des photos », regrette maître Nadjim Ahamada, qui défend le prévenu le plus jeune, un jeune homme de 18 ans qui sera jugé pour une tentative de meurtre dans laquelle la victime s’est retrouvée avec un fer à béton planté dans le crâne.
Un peu plus tôt, le Parquet a rappelé qu’il y a « un enjeu avec le ratio détenus/surveillants » et rappeler à quel point Mayotte est dépendante de son unique établissement carcéral. « Si l’établissement ne fonctionne plus, la justice ne peut plus fonctionner », rappelle Stéphanie Pradelle. Le tribunal correctionnel a finalement décidé de condamner les dix détenus à des peines proches des réquisitions. Aniel Rastoini, Hachim Daoud, Dani Attoumane, Yassine Abdou Salami Mahamoud et Fayad Baco écopent de trente mois de prison, Youssouf « Bella » Ahamadi, Rayan Abdou Oili, Karim Attoumane et Maandi « Kiki » Saindou de trois ans. Celui qui a le casier le moins fourni, Halifa Ankidine, s’en sort avec dix-huit mois de plus par rapport à sa peine initiale.
Désormais, avec ces condamnations, le centre pénitentiaire espère pouvoir tourner la page de la mutinerie. En effet, ceux qui purgent déjà leur condamnation vont être transférés en métropole dans les prochaines semaines selon une promesse de l’administration pénitentiaire, les autres suivront en fonction du niveau d’instruction de leurs affaires.
L’auteur présumé de l’homicide du square Papaye en détention
Interpellé peu après la mort d’un jeune homme de 24 ans, square Papaye à Mamoudzou, le jeudi 7 novembre, l’auteur présumé a été mis en examen pour meurtre et placé en détention provisoire, le week-end dernier. Le Parquet confirme que l’homicide a eu lieu dans un contexte de rivalité entre bandes. Si l’enquête est toujours en cours, une dizaine de personnes ont déjà été interpellées et placées en garde à vue dans cette affaire. A ce stade, la mort du jeune homme a été provoquée par un coup de couteau au niveau du cœur. Une deuxième victime, blessée au cou selon nos informations, a eu quinze jours d’interruption temporaire de travail (ITT).
L’article « On a vu une intention de faire mal, de détruire » est apparu en premier sur Mayotte Hebdo.
Partager cet article
Laisser un commentaire