Permis de s’en sortir
CARNET DE JUSTICE. Il souhaitait simplement obtenir un permis poids lourds français grâce son permis burundais. Et le voici à la barre du tribunal correctionnel. L’administration a estimé que son document était un faux. L’apposition du « cachet sec », la marque en relief sur les documents officiels, ne comportait pas les armoiries du pays. Le numéro était écrit à la main et l’état général du document, troué, déchiré et renforcé avec des morceaux de scotch n’était pas de nature à renforcer la confiance dans ce titre pourtant officiel.
Le Président Rieux, qui manipule ce permis, se demande même si un tampon n’a pas été apposé postérieurement aux bouts de scotch. Les dates ne correspondent pas non plus. Ce type de licence est valable cinq ans, hors, son propriétaire l’a obtenu le 21 janvier 2007 et son expiration indique le 31 décembre 2012. Les doutes sont légitimes.
Une histoire africaine
Mais voilà, l’homme à la barre est africain et c’est bien une histoire d’administration africaine que la justice française a à juger ce mercredi matin à Mamoudzou. L’homme est né au Congo et ce permis, il l’a obtenu au Burundi alors qu’il vivait au Kenya. On lui a donné à l’extérieur d’une préfecture après de multiples rendez-vous infructueux et surtout après qu’il se soit acquitté d’une somme importante.
Vous êtes sûr que vous n’avez pas acheté ce permis ? interroge le Président.
Non, je ne l’ai pas acheté, répond le prévenu
Vous savez que ça existe ?
Oui, mais je n’aurais jamais fait ça.
Le tribunal va alors tenter de savoir si l’homme sait réellement conduire des poids lourds. « J’ai passé l’épreuve ‘théoriquement’ pendant un an, explique l’homme, puis j’ai conduit le camion pendant un mois. J’appuie sur l’embrayage, je passe la vitesse, je fais quelques mètres, je rappuie sur l’embrayage, je passe la 2e et j’appuie sur l’accélérateur… » La démonstration laisse perplexe. Le procureur interroge alors sur les dispositifs propres aux camions ou aux bus. « Un ralentisseur, vous savez ce que c’est sur un poids lourds ou sur les véhicules de transports en commun ? » Le système qui permet de moduler le freinage sur ces véhicules lui semble inconnu.
La relativité administrative
« Vous êtes arrivés à Mayotte en 2008. Pourquoi attendre 2013 pour demander le permis français ? » questionne le procureur. Une fois encore devant ce tribunal, les méandres administratifs sont mis en avant. Le temps d’obtenir un récépissé de demandeur d’asile et une promesse de travail, les mois et les années ont défilé. « Je conduis les camions depuis beaucoup de temps. C’est la seule chose que je peux faire. J’ai une famille, je suis Pasteur, je n’ai pas falsifié ce document, je vous demande de me croire », conjure le prévenu.
« On imagine, en 2014, qu’il y a des codes universels avec internet et l’informatique, plaide Me Konde, l’avocat de l’individu. On se dit que les administrations ont à peu près la même manière de fonctionner. Eh bien, ce n’est pas vrai. On peut avoir beaucoup de surprises à la lecture des documents administratifs de beaucoup de pays, y compris pas très loin de chez nous. Et obtenir un document à l’extérieur d’un bureau, ça se fait même dans une nation ‘civilisée’ », ironise-t-il. « Je suis porteur d’un document qui ne rentre pas dans les critères d’analyses, est-ce que pour autant je l’ai falsifié ? » Non, a répondu la justice française. L’homme est relaxé des charges qui pesaient sur lui.
Incrédule à l’énoncé du verdict, il a mis du temps à quitter la salle d’audience. Les choses étaient soudainement trop simples après des années à errer dans les méandres et les incompréhensions administratives. Simples, mais vraies. RR