Pourquoi évaluer les politiques publiques ? Réponse au colloque des 20 ans du CESEM
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Êtes-vous satisfait de la politique de votre maire ? Des investissements menés par vos conseillers départementaux-régionaux ? Nous avons tous une réponse globale, parfois nuancée, à ces questions. C’est pourquoi l’évaluation des politiques publiques est indispensable. Non seulement parce que nos élus sont payés avec de l’argent public, donc nos impôts et dans ce sens sont un peu nos employés, mais aussi parce qu’ils peuvent faire fausse route et devoir modifier une politique en place.
A la veille de souffler ses 20 bougies, le Conseil économique, social et environnemental de Mayotte (CESEM) proposait un colloque sur l’Évaluation des politiques publiques. Un thème qui n’a rien d’innocent pour cette assemblée placée auprès du président du CD, composée des mondes économique, social, environnemental, éducatif et associatif, qui rédige des rapports, et remet des avis sur les orientations structurantes de la Région, à Mayotte, le conseil départemental. Comme nous l’avons parfois écrit, il s’agit un peu pour le CD d’un Jiminy Cricket de Pinocchio, un conseil sur la bonne conduite du département.
Pour que cela fonctionne, il faut que les élus départementaux étudient les avis du CESEM, sur la tenue du budget, un nouvel organigramme, les différents plans, etc. Il y en a des centaines. Et, à l’heure du bilan des 20 ans, nous verrons que cela n’est pas toujours le cas, alors que cela aurait pu, et peut toujours, éviter bien des erreurs. D’où l’idée d’évaluer les politiques publiques, et de souligner la nécessité de bénéficier des compétences du CESEM.
Pour son président Abdou Dahalani qui inaugurait le colloque ce jeudi à la Technopôle de Dembéni, 20 ans, c’est l’occasion d’un bilan et d’une projection : « Cet anniversaire est l’occasion de porter un regard critique sur ce qui a été accompli par le CESEM, et se donner l’ambition d’être un acteur clé du développement de Mayotte sur la mandature ». Il justifie sa demande d’évaluation des politiques menées à Mayotte : « D’un contrat de projets à l’autre, d’un plan stratégique à l’autre, la population mahoraise a l’impression que sa situation globale évolue peu, et même, qu’elle s’appauvrit. Ce sentiment doit être objectivé ».
Coercitif pour les latins, bénéfique pour les anglosaxons
Et quelques minutes plus tard, un début de réponse était donné sur l’utilité d’évaluer les politiques publiques, avec le chiffre livré ce jeudi par l’INSEE d’un PIB par habitant 2022 à Mayotte en hausse de 4,7%, commenté par un Jamel Mekkaoui dont c’était le grand retour mais en tant que chef de la division études à l’INSEE Réunion-Mayotte : « En raison de la forte augmentation de population, le PIB par habitant augmente moins que celui de métropole, nous n’avons donc toujours pas de convergence vers le niveau national. » Le PIB n’est qu’un indicateur parmi d’autres.
Le président du CESEM invite à « bâtir une gouvernance participative, le fossé entre les élus et la population se creuse », avertissait-il.
Plusieurs invités de marque à ce colloque, qui expliquaient que la notion d’évaluation des politiques publiques était somme toute récente, mise en place aux États-Unis pour adapter les politiques aux spécificités de chaque état. « Dans notre culture française et même latine, l’évaluation est synonyme de contrôle et de recherche du coupable, alors que chez les anglosaxons, elle est vue comme une opportunité pour que le collectif ne commette pas deux fois les mêmes erreurs », rapportait Christian Hugues, directeur associé d’Evalua. Donc comment implanter une culture de l’évaluation des politiques publiques à Mayotte ?
Déjà, si 165 pays dans le monde ont mis en place des structures spécifique, comme la France avec la Société française d’évaluation créée en 1998, seules 53% régions de France considèrent que l’évaluation publique est bien implantée chez elles, dont un tiers s’est dotée d’une instance dédiée, rapporte Patrick Caré, vice-président de CESER (Conseils économique social et environnemental régionaux) de France. « Donc la culture de l’évaluation est présente dans la plupart des CESER, mais elle dépend du bon vouloir de la collectivité territoriale ». Nous verrons dans un autre sujet, qu’à Mayotte, cette volonté a été fluctuante par le passé, et l’absence de conseillers départementaux de la majorité à ce colloque n’était pas pour rassurer.
Celle qui faisait de l’évaluation sans le savoir, c’est la Chambre régionale des Comptes (CRC), mais qui a vraiment récupéré cette compétence par la volonté du Premier président de la cour des comptes de 2008, Philippe Seguin, renforcé par un de ses successeur, Pierre Moscovici qui imposait que 20% des publications soient des évaluations, et non seulement des contrôles. Mais pour passer comme l’exprime Nicolas Péhau, président de la CRC Réunion-Mayotte « de la figure de contrôleur à la figure d’évaluateur », il a fallu faire un lifting ! « Il faut trouver le moment de la politique publique à étudier, choisir les bonnes questions, et fournir éléments et méthodologie pour une bonne compréhension. Ce qui n’a pas forcément été le cas pour l’octroi de mer ».
Ce qu’il ne faut pas faire
Le bon élève à Mayotte, c’est Ambdilwahedou Soumaila. Le maire de Mamoudzou affiche la couleur en étant élu en 2020 avec son plan ambitieux de 400 millions d’euros, « Mamoudzou 2030 ». « D’un côté, nous avons une population de plus en plus exigeante, de l’autre, Mayotte est une terre de défis, et les chiffres catastrophiques de l’INSEE sur le flux migratoire et la fécondité projetant le nombre d’habitants à 760.000 en 2050, sont inquiétants. » L’élu met en place une direction d’évaluation du plan, organise un séminaire annuel avec les cadres de la ville « pour un point d’avancement », sollicite une évaluation des services à la population qui se presse nombreuse dès 5 heures du matin pour des démarches, « jusqu’à 600 personnes par jour », lance un espace numérique citoyen « auquel on accède depuis Brest ou Sada », met en place des bornes de gestion des files d’attente, etc. Et l’élu oublie de préciser les temps d’échanges périodiques avec ses administrés sur les réseaux sociaux dans un moment de démocratie participative.
Les premiers résultats des évaluations les incitent à évoluer un peu plus, « pour réduire le délai de traitement des démarches à 2 minutes grâce au numérique, pour allonger l’amplitude horaire des ouvertures de la mairie et mairies annexes, pour proposer une formation continue de nos agents, pour sensibiliser aux outils numériques, etc. »
Dernière intervenante de la table ronde, et pas des moindres, Naila Louison, passée de la Chambre d’agriculture aux fonds européens pour être affectée à l’évaluation de leur gestion au sein du GIP l’Europe à Mayotte. Faisons un bref retour en arrière pour évoquer ce qu’il ne faut pas faire en termes d’évaluation, celle du rapport que nous avions publié en exclusivité de la Commission interministérielle de coordination des contrôles (CICC) en 2019 où s’étalaient les dysfonctionnements de l’autorité de gestion des fonds européens qu’était la préfecture à Mayotte. Au lieu de le mettre sur la place publique, ce rapport avait été tu. Seul le préfet Dominique Sorain avait acté par la suite, « nous n’avons pas été bons », prenant des mesures correctives alors que Mayotte avait frôlé le dégagement d’office, et vu ses remboursements suspendus plusieurs mois. Selon Naila Louison, un plan pluriannuel d’évaluation est imposé, « on nous demande une évaluation de mise en œuvre de la programmation des deux fonds FEDER et FSE, du pôle animation au pôle évaluation, avec plusieurs indicateurs. » Pour évaluer la mise en œuvre du programme 2021-2027, tous les acteurs vont pouvoir s’exprimer au sein du comité de pilotage. « Une fois les avis récoltés, un cahier des charges sera rédigé avec une grille d’appréciation pour objectiver les travaux ».
Alors que certains élus pensent encore que « les élections sont le moment de l’évaluation », glisse Patrick Carré, à l’issue de cette matinée on espère que la culture d’évaluation gagne peu à peu le territoire. Et en avançant le timing au début de sa mise en place, et non une fois que les millions ont été (parfois mal) dépensés !
Anne Perzo-Lafond
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